Sacré joystick
Nonne en pleine crise de foi, humour noir, critique implicite des autorités religieuses et voyage métaphysique dans une Russie alternative du XIXᵉ siècle : “Indika” ose des audaces rares dans le jeu vidéo, mais se heurte à ses propres ambitions.
“Indika” est un jeu d’aventure narratif développé par le petit studio indépendant Odd Meter. On y incarne une jeune nonne orthodoxe, Indika, rejetée par ses coreligionnaires et hantée par une voix intérieure attribuée au diable lui-même. Envoyée livrer un message au-delà des murs du couvent, elle se retrouve embarquée dans une odyssée étrange qui mêle visions religieuses, paysages surréalistes et confrontations philosophiques sur la foi, le libre arbitre et le poids des doctrines imposées.
Ce qui distingue ce jeu de l’ordinaire, c’est sa manière d’aborder des grands thèmes sans les édulcorer. Hors de son couvent glacé, la Russie qu’elle traverse est un miroir grotesque, où la dignité religieuse se heurte à la dureté des chemins, où la voix du diable commente constamment le monde et ses hypocrisies. Le jeu joue littéralement avec l’absurde et le sacré dans un mélange de comédie et de tragédie, comme si Dostoïevski et Boulgakov s’étaient mis à écrire un jeu vidéo.
La direction artistique est l’un des atouts les plus singuliers d’Indika. Les environnements, souvent austères ou dérangeants, reflètent l’état mental de l’héroïne. Les flashbacks en pixel art, qui se déclenchent à mesure qu’on progresse, explorent son passé troublé et apportent une texture narrative contrastée. Pour autant, la démarche n’est pas sans limites. La durée de vie est courte, souvent rapportée autour de quatre à cinq heures de jeu seulement, ce qui peut laisser l’impression d’un potentiel narratif à peine entamé. Certains puzzles et mécaniques paraissent subordonnés à l’ambition thématique plutôt qu’intégrés de façon fluide au récit, et l’optimisation technique a parfois été pointée du doigt comme perfectible sur consoles.
Le jeu a divisé la communauté. Certains louent sa proposition singulière, son humour noir, sa narration déroutante et sa capacité à questionner l’autorité religieuse et morale, jusque dans ses propres structures de jeu. D’autres lui reprochent son manque d’ampleur ludique ou de cohésion mécanique, ou que certaines de ses idées — comme les puzzles symboliques ou les commentaires du diable — ne trouvent pas toujours une résonance ludique satisfaisante. Sur le fond, “Indika” est une expérience qui s’apparente davantage à un film d’auteur interactif qu’à un jeu vidéo conventionnel. Expérience qui questionne la foi, l’autorité et le rôle des structures sociales tout en se déployant dans un monde visuel et narratif singulier, parfois déséquilibré, qui ne plaira pas à tous mais qui n’a peur ni de ses sujets ni de ses propres contradictions.
★★★☆☆
