“Lost Records: Bloom & Rage”, souvenirs en filigrane
Avec ce jeu, Don’t Nod ne cherche pas à te faire jouer un thriller ou un blockbuster narratif, mais à te confronter à la texture vivante de la mémoire, de l’amitié et de l’adolescence. Un jeu sur ce qu’on a été, ce qu’on perd et ce qu’on ne peut jamais vraiment retrouver.
Rarement l’exercice du récit interactif avait été autant une invitation à regarder en soi. “Lost Records: Bloom & Rage” structure sa narration en deux temps -1995 et 2022- comme deux strates d’un même souvenir que l’on gratte encore. On y incarne Swann, qui revient avec ses amies sur l’été qui les a façonnées autant qu’il les a blessées. Et au fil de cette remontée, le jeu ne se contente pas de raconter une histoire mais la murmure, se vit plus qu’il ne se joue : une longue résonance affective qui laisse une trace durable, à condition d’abandonner l’attente du “grand tournant”. C’est un pari narratif ambitieux, imparfait, mais profondément humain.
À la base, il y a une mécanique simple : l’usage de la caméra Super 8 de Swann pour capturer des scènes, recomposer des moments, convoquer des émotions. L’objet est métaphorique mais jamais pompeux ; il devient le cœur du jeu, ce qui fait penser l’interactivité autrement qu’une succession de choix binaires. D’autant que ces choix, même s’ils existent, ne transforment pas immédiatement la tournure du récit, ce qui peut frustrer ceux qui attendent des conséquences spectaculaires. Le style visuel respire : c’est coloré sans être mièvre, souvent très beau, parfois maladroit. Côté technique, on note des défauts – bugs, collision bizarre, doublage parfois bancal -qui rappellent que l’ambition narrative n’est pas toujours appuyée par une finition impeccable.
Ceux qui ont aimé “Life Is Strange” reconnaîtront la signature : le même souci de capter les états d’âme, la même sensibilité pour les atmosphères de fin d’été et de premiers émois. Pourtant, “Lost Records” choisit une approche plus méditative, moins spectaculaire. Il y a de ces séquences où le jeu te laisse juste regarder une conversation, une forêt ou un champ de blé, en te laissant mesurer, avec lui, la douceur d’un moment qui devait être simple et qui devient événement.
Le jeu n’est pas parfait. Le rythme peut sembler lent, parfois trop attaché à ses propres hésitations, et certains puzzle ou séquences interactives semblent moins inspirés que le propos général. Il manque parfois ce jeu tangible qui rattache l’émotion à l’action. Mais cela fait partie de sa singularité : ce jeu n’est pas un bolide narratif, c’est une lente plongée dans un autre âge de la vie, un endroit où l’on retrouve ses souvenirs en se demandant ce qui a réellement compté.
Les réactions autour du jeu sont assez polarisées. Certains saluent son atmosphère et sa narration émotive, très proche de l’expérience humaine même (et pas seulement ludique). D’autres lui reprochent son manque de punch, un rythme qui ne décolle jamais vraiment, voire une certaine vacuité dans les choix. Ce contraste est sans doute le signe d’un jeu qui ne s’adresse pas à tout le monde : on entre dans ce jeu avec la patience d’un promeneur et on en ressort touché ou déçu, selon ce qu’on y cherchait.
Au bout du compte, “Lost Records: Bloom & Rage” est ce que pourrait être un roman introspectif rendu interactif : peu de rebondissements spectaculaires, mais une texture émotionnelle, une capacité à faire sentir la résonance d’un souvenir comme s’il était encore vivant. Et ça, dans un paysage vidéoludique souvent dominé par l’adrénaline, c’est presque une révolution silencieuse.
★★★★☆
