L’intime comme champ de bataille invisible
Dans le silence d’un salon et les interstices d’une famille en déséquilibre, Anna Cazenave Cambet explore l’après‑coup d’une vérité intime. Pas de flambée ni de scandale : juste une femme qui dit qu’elle aime les femmes, et un monde qui se dérègle autour d’elle. Un film subtil, tendu et nécessaire, qui s’inscrit dans la lignée du cinéma queer français.
Ce n’est évidemment pas le premier film à raconter l’homosexualité, ni le premier à décrire les secousses que provoque une vérité intime lorsqu’elle percute l’ordre familial. Depuis “Les Amitiés particulières” (1964), film corseté par les interdits de son époque, jusqu’aux errances crues de “Théo & Hugo dans le même bateau” (2016), le cinéma français a longtemps posé ses caméras autour du désir sans toujours oser le regarder de face. Puis sont venus Lifshitz, Guiraudie, Ozon, Sciamma, tous façonnant peu à peu un territoire où l’amour queer pouvait exister autrement que par détour ou métaphore.
Ce film s’inscrit dans cette continuité. Mais Anna Cazenave Cambet choisit de se concentrer sur l’après : le moment où la vérité est dite et où le monde autour se dérègle. Le film suit Clémence (Vicky Krieps), qui révèle à son ex-mari Laurent (Antoine Reinartz) qu’elle aime les femmes. L’enjeu n’est pas le coming-out en soi, mais les répliques, les regards et les dynamiques familiales qui se recomposent après cette révélation. Monia Chokri incarne Sarah, figure secondaire mais structurante, et Viggo Ferreira-Redier joue Paul, dont la présence souligne les tensions entre intimité et jugement social.
La mise en scène de Cazenave Cambet est précise et sans effet : lumière sobre, plans serrés, silences qui s’étirent, chaque micro-gestuelle devient un vecteur de tension. L’homophobie y est diffuse, procédurière, intégrée dans les conversations, les conventions et le regard des autres plutôt que dans des manifestations spectaculaires. Les personnages adultes Féodor Atkine (le père de Clémence), Aurélia Petit (Madame Delcourt), Park Ji-min (Victoire) — incarnent ces normes sociales omniprésentes. Chacun de leurs gestes ou de leurs silences transforme le quotidien en champ de friction, où Clémence doit trouver sa place.
Le film se rapproche ainsi de ce que proposent “Laurence Anyways” ou “Week-End” : une observation des conséquences plutôt qu’une démonstration. Il ne fait pas de militantisme son étendard, mais révèle combien l’intime peut ébranler des structures invisibles — la famille, la société, le regard des autres — et continue de résonner longtemps après la sortie de la salle.
★★★☆☆
