“Shōgun”, ou l’art de refaire du prestige sans le dire

“Shōgun”, ou l’art de refaire du prestige sans le dire
Si “Shōgun” marque autant, ce n’est pas parce qu’elle “relance” le genre historique, mais parce qu’elle rappelle ce que le mot prestige voulait dire avant d’être vidé par l’algorithme : du temps, de la rigueur, une vision. Une série qui ne demande pas ton attention : elle l’exige, et la mérite.

Ce n’est pas la première fois que le Japon féodal sert de décor aux fantasmes occidentaux, ni la première adaptation du roman-monde de James Clavell, publié en 1975, pavé romanesque issu d’une tradition anglo-saxonne qui aimait encore croire que l’Histoire était un terrain d’aventure morale. Une première version télévisée avait déjà vu le jour en 1980 sur NBC, avec Richard Chamberlain en étranger fasciné, un succès d’époque, corseté par ses limites. La nouvelle mouture, produite par FX et développée par Justin Marks et Rachel Kondo (annoncée officiellement par la chaîne en 2021), arrive dans un tout autre paysage : celui d’un âge post-“Game of Thrones“, où la série historique n’a plus le droit d’être décorative.

Cette série ne cherche pas l’exotisme, encore moins la carte postale. Elle avance à pas feutrés, comme ses personnages, dans un monde où chaque geste est politique, chaque silence chargé. Ici, l’Occident n’est pas le centre du récit, tout au plus un élément perturbateur, un corps étranger que le Japon observe, jauge, absorbe ou rejette. La série a d’ailleurs fait le choix rare -et décisif, de laisser une large place à la langue japonaise, sans la lisser, sans la traduire autrement que par la confiance faite au spectateur. Un geste esthétique autant qu’éthique.

Visuellement, “Shōgun” relève d’un classicisme somptueux mais jamais tape-à-l’œil. La mise en scène privilégie la durée, la tension interne, les cadres composés comme des estampes qui auraient appris la cruauté du réel. On pense à Kurosawa (“Ran“, 1985) pour le sens du tragique, à certaines grandes séries HBO pour la rigueur dramaturgique, mais la comparaison s’arrête vite : “Shōgun” n’imite pas, elle s’installe.

Au centre, Hiroyuki Sanada, également producteur de la série, impose une présence qui dit beaucoup de l’ambition du projet. Acteur-passeur entre cinéma japonais et productions hollywoodiennes depuis les années 1990 (“Twilight Samurai“, “The Last Samurai“), il incarne ici une autorité calme, travaillée par le temps long, par l’attente. Rien n’est surjoué, tout est tenu. Autour de lui, le casting suit, sans starification inutile. Ce qui frappe surtout, c’est le refus de la facilité narrative. “Shōgun” ne court pas après le sacro-saint cliffhanger, ne surligne pas ses enjeux. Elle suppose un spectateur attentif, disponible, prêt à accepter que le sens émerge lentement, presque à l’ancienne. À l’heure des séries jetables, c’est un pari risqué. Et précisément pour cela, un pari précieux.

★★★★☆

Charlie Doyle