Dominique A "Tout sera comme avant"

Voilà un disque qui porte mal son nom. Avec cet album, plus rien ne sera comme avant pour le Nantais expatrié à Bruxelles Dominique A, puisqu’il entre de plain pied dans le domaine des très grands de la chanson française. On pouvait s’attendre à un album aussi beau que “La mémoire neuve” ou “Auguri”, qui sont à ce jour ces deux disques aux sonorités les plus facilement recevables par le grand public. Ané livre encore mieux que cela : un album lumineux, très proche des envolées symphoniques de Ferré quand il chantait les poètes.
C’est que douze ans après “La Fossette”, disque produit de bric et de broc à la maison et murmuré, Dominique a commis son “Imprudence”. Il a convié Jean Lamoot (et son collectif Gekko, composé avec Jean-Louis Solan et Arnaud Devos) à transformer ses maquettes en des chansons amples et enlevées, qui sont autant de toiles de fond (mi-musique contemporaine, mi-classique, avec un esprit rock) sur lesquelles sa voix se fait de plus en plus ample. A l’instar de son interprétation de “Pour la peau” sur Auguri, Dominique A habite “Tout sera comme avant” gorge déployée, timbre magistral, avec sa voix inimitbale de baryton Martin.
On est loin du courage des oiseaux chanté d’une voix tremblottante. Avec des textes à tiroir (“Elle parle à des gens qui ne sont pas là”, “Revenir au monde”, “Le fils d’un enfant”) sur lesquels l’auditeur pourra créér sa propre histoire, des chansons plus rock (“Pendant que les enfants jouent”, “Bowling”, “Où sont les lions” évoquent “Antonia” ou “En secret), une chanson ensoleillée dans la lignée des “Enfants du Pirée” (“La retraite à Miami”), une bizarrerie sur l’apprentissage des langues étrangères (“L’inuktitut”) et quelques morceaux calmes, “Dans les hommes”, “Mira”, et “Dobranoc” (qui évoque le plus le dernier album de Bashung), ce nouvel album est une oeuvre entière, qu’on ne conseillera jamais assez d’écouter d’une traîte. Et avec grande attention. “Il y a trop de mots dans les hommes” apprend-on. En effet, et il y en a pas mal de bouleversants chez monsieur Ané.
Se terminant sur une bal(l)ade sur la plage au bras d’une amoureuse (“Les éoliennes”, appelé à devenir son “Avec le temps” à lui), “Tout sera comme avant” est le disque le plus émouvant qu’il nous ait été donné d’écouter depuis des lustres. Depuis la mort de Ferré en fait, exception faite du dernier Bashung, bien sûr. Cette imprudence-là en valait la chandelle. Plus rien en effet ne sera “comm’ avant” (comme Christophe écrivait “Comm’ si la terre penchait”). Pour Dominique A lui même, bien sûr. Et pour la chanson française qui vient de se trouver un étalon. On dira bientôt : “untel a fait son ’Tout sera comme avant’”. Sauf que monsieur Ané vient de placer la barre haut, très haut. Bonne chance aux suiveurs.
★★★★★
Dominique A “Tout sera comme avant” (Labels/EMI)
première publication : dimanche 7 mars 2004