Oneohtrix Point Never “R Plus Seven”

Oneohtrix Point Never “R Plus Seven”
Oneohtrix Point Never déconstruit la musique comme un architecte déconstruit un bâtiment. Entre harmonies new age détraquées, jingles synthétiques et montages sonores abrupts, Daniel Lopatin façonne un album cérébral et insaisissable, où chaque piste semble se rebeller contre l’ordre établi. Dix ans après, ce casse-tête électronique n’a rien perdu de son étrangeté fascinante.

Il est des disques qui se vivent comme des expériences sensorielles, des casse-têtes sonores où chaque détour réserve une nouvelle mutation du son. “R Plus Seven” appartient à cette catégorie. Daniel Lopatin, architecte du futur sonore, n’a jamais fait dans la redite, et cet album marque un virage radical après “Replica” (2011). Si ce dernier exploitait les textures brumeuses et les boucles spectrales, “R Plus Seven” plonge tête la première dans un chaos hyperstructuré, où l’artificialité assumée devient une matière première.

Lopatin aime brouiller les pistes. Il peut donner l’illusion d’une harmonie new age comme sur “Zebra“, où les nappes lumineuses semblent flotter en apesanteur, avant d’introduire un élément dissonant, une coupure brutale qui annule toute tentative de contemplation. Il joue avec des sonorités qui rappellent le design sonore des années 80 : jingles publicitaires, voix synthétiques robotiques, motifs cristallins qui évoquent les premiers logiciels musicaux. Tout l’album est traversé par cette tension entre familiarité et étrangeté, entre une musique qui semble accueillante et des structures volontairement déstabilisantes.

Dans “Problem Areas“, on croit entendre une pop ultra-compressée, une version abstraite et détournée d’un hit publicitaire qui aurait été déconstruit puis réassemblé avec des pièces manquantes. Ailleurs, “Boring Angel” joue sur la répétition d’une boucle d’orgue, mais au lieu d’une montée progressive à la Philip Glass, Lopatin la fait muter en une explosion numérique, dérapant dans un espace où l’organique et le digital s’entrechoquent.

Et puis il y a ces moments de pure architecture sonore, où les morceaux s’apparentent à des espaces en perpétuelle transformation. “Inside World” ou “Along” fonctionnent comme des pièces modulaires : chaque motif, chaque son semble surgir à un endroit inattendu, défiant l’auditeur d’en saisir la logique. L’album est un puzzle, où les pièces ne s’emboîtent jamais totalement, créant un sentiment d’instabilité permanente.

R Plus Seven” est une énigme captivante. Trop structuré pour être du pur chaos, trop déroutant pour être un disque d’ambiance, il occupe une zone indéfinissable entre avant-garde et musique populaire en décomposition. Une œuvre qui ne s’écoute pas, mais se traverse.

★★★★☆

Oneohtrix Point Never “R Plus Seven” (Warp, 2013)

Boring Angel / Americans / He She / Inside World / Zebra / Problem Areas / Cryo / Still Life / Along / Chrome Country

Jean-Marc Grosdemouge