La liberté est-elle menacée par l’indifférence ?

La liberté est-elle menacée par l’indifférence ?

La liberté est une valeur importante. C’est un mot qui claque comme un drapeau, qui enflamme les discours et anime les révolutions, une valeur inscrite aux frontons des mairies des écoles. Chacun tient à sa propre liberté. Mais sait-on vraiment de quoi l’on parle ?

En 1819, le penseur Benjamin Constant (1767-1830), qui a aussi été élu, a donné une conférence à l’Athénée de Paris. Il y posait une distinction essentielle entre deux conceptions de la liberté. Une analyse qui, comme le rappelle Michel Winock dans un article paru dans “L’Histoire” (n°346, octobre 2009), résonne encore avec force aujourd’hui.

Deux époques, deux libertés

Constant distingue la liberté des Anciens, celle des citoyens de la Grèce antique et de Rome, et la liberté des Modernes, c’est à dire la nôtre. Chez les Anciens, la liberté se vivait dans l’espace public : débattre, voter, participer activement à la vie politique. Mais à quel prix ? Celui d’un énorme sacrifice de la vie privée. L’individu devait se plier aux exigences du collectif, souvent au mépris de ses droits personnels.

Avec le temps, les sociétés ont changé. L’abolition de l’esclavage, le développement du commerce et l’extension des nations ont réduit la place du citoyen dans la décision publique. La liberté moderne est donc devenue individuelle : droit d’exprimer ses idées, de choisir sa religion, de posséder des biens et de mener sa vie comme on l’entend.

Faut-il en conclure que la liberté politique n’a plus d’importance ?

Au contraire. Constant met en garde contre un danger majeur : l’indifférence des citoyens. Si nous délaissons le débat public, si nous nous enfermons dans notre confort personnel, nous risquons de laisser les clés du pouvoir à des gouvernants sans contrôle. Le libéralisme de Constant n’est pas seulement une défense des libertés individuelles, c’est aussi une exigence : celle de rester vigilants. Comme l’explique Michel Winock, il nous rappelle que la liberté n’est jamais acquise une fois pour toutes. Elle dépend de notre capacité à nous engager, à surveiller ceux qui nous représentent, à ne pas abandonner nos droits.

Une leçon plus actuelle que jamais

Aujourd’hui, nos sociétés démocratiques sont menacées moins par un despotisme brutal que par la passivité massive. Le taux d’abstention aux élections grimpe, les débats se réduisent souvent à des slogans sur les réseaux sociaux. Et parfois (voir Daniel Laurison), les campagnes électorales déotournent la population de la politique. Mais pouvons-nous nous contenter d’une démocratie où l’on vote sans réellement peser sur les décisions ?

Benjamin Constant nous tend un miroir : voulons-nous nous contenter d’un confort privé ou sommes-nous prêts à réinvestir l’espace public ? C’est tout l’enjeu de notre époque, et il serait dommage d’ignorer cette piqûre de rappel vieille de plus de deux siècles.

Jean-Marc Grosdemouge