Stereolab, les architectes du son rétro-futuriste

Le groupe culte sera en tournée en France au printemps 2025. C’est l’occasion de jeter un oeil dans le rétrovisieur. Car depuis 1990, Stereolab façonne un univers musical unique, entre krautrock hypnotique, pop rétro-futuriste et expérimentations électroniques. Retour sur cinq albums clés qui définissent leur trajectoire audacieuse.

“Peng!” (1992) : premiers motifs hypnotiques, entre guitares abrasives et pop avant-gardiste
Avec “Peng!“, premier véritable album du groupe, Stereolab pose les bases de son esthétique sonore : une alchimie entre le krautrock de Neu!, les guitares répétitives du Velvet Underground et une certaine approche pop héritée de la French Touch naissante. Si l’influence de Spacemen 3 – groupe dans lequel Tim Gane, le co-fondateur, a évolué – est encore perceptible, Peng! se distingue par un chant plus aérien et détaché, assuré par Laetitia Sadier. L’album alterne moments de pure énergie shoegaze (“K-Stars”, “The Seeming and the Meaning”) et instants plus éthérés, à l’image de “Super Falling Star”, où la voix de Sadier flotte au-dessus de nappes d’accords lancinants. Ce disque est à la fois une déclaration d’intention et une esquisse des horizons sonores que le groupe explorera par la suite.

“Transient Random-Noise Bursts with Announcements” (1993) : expansion sonique et pulsations krautrock
Avec cet album, Stereolab affirme son identité en s’éloignant de la scène indie classique pour plonger dans une approche plus expérimentale. Les morceaux s’étirent, les structures s’allongent, et le groupe s’abandonne au plaisir de la répétition hypnotique. Le meilleur exemple est sans doute “Jenny Ondioline”, monument krautrock de 18 minutes qui rappelle le meilleur de Can et Neu!, où les motifs rythmiques motorik s’imbriquent jusqu’à créer un état de transe. L’album est aussi marqué par une recherche sonore plus radicale : guitares saturées, claviers vintage et collages bruitistes composent un puzzle audacieux, à la fois structuré et chaotique. Avec ce disque, Stereolab s’émancipe des conventions pop pour devenir un véritable laboratoire musical.

“Mars Audiac Quintet” (1994) : entre kraut-pop et critique politique
Ici, le groupe peaufine son art en intégrant une sensibilité plus mélodique et accessible. Les influences lounge et easy listening commencent à s’infiltrer dans les compositions, contrastant avec des paroles souvent engagées et politiques. L’exemple le plus frappant est “Ping Pong”, qui aborde de manière presque sarcastique les cycles du capitalisme et de l’économie marxiste, sur une mélodie enjouée et répétitive. Le disque, plus feutré que son prédécesseur, explore des textures plus subtiles, où les synthétiseurs Moog et Farfisa se mêlent à des arrangements minimalistes. Malgré son apparence plus pop, “Mars Audiac Quintet” reste ancré dans une démarche avant-gardiste, confirmant la singularité du “groop”.

“Emperor Tomato Ketchup” (1996) : l’album total, entre électro, jazz et pop futuriste
Sommet artistique du groupe, “Emperor Tomato Ketchup” est souvent considéré comme leur chef-d’œuvre. Enregistré avec une production plus soignée, il condense toutes les obsessions de Stereolab en un album aux multiples facettes. Le krautrock est toujours présent, mais il cohabite désormais avec des incursions jazz (“Les Yper-Sound”), des beats électroniques dignes d’un disque de Mouse on Mars (“Metronomic Underground”) et des orchestrations pop baroques (“Cybele’s Reverie”). Le titre de l’album, emprunté à un film expérimental japonais des années 1970, reflète bien cette esthétique rétro-futuriste et cosmopolite. Ici, Stereolab atteint une maturité totale : chaque morceau semble être un petit univers en soi, une micro-révolution musicale où s’entremêlent influences vintage et ambitions avant-gardistes.

“Dots and Loops” (1997) : la sophistication lounge et l’élégance glitch
Stereolab poursuit son exploration des textures et plonge dans un univers plus feutré, à la croisée de la lounge music des années 60, de la bossa nova et des expérimentations électroniques glitch. Ce tournant plus jazzy et sophistiqué se ressent dans “Miss Modular”, où les harmonies vocales de Sadier et Mary Hansen flottent sur un groove nonchalant, ou encore dans “Brakhage”, qui semble anticiper les sonorités du label Warp. L’album, enregistré en partie avec John McEntire (Tortoise) et Sean O’Hagan (The High Llamas), témoigne d’une volonté de déconstruire encore davantage la pop pour en faire un terrain d’expérimentation sonore. Loin du rock répétitif des débuts, “Dots and Loops” fait la part belle aux textures électroniques et aux rythmiques sophistiquées, annonçant les évolutions à venir du groupe.
Stereolab n’a cessé d’innover, mariant l’expérimental au mélodique, la théorie politique à la légèreté pop. Leur approche du collage sonore, leurs influences multiples (krautrock, easy listening, électronique, jazz) et leur refus des conventions en font l’un des groupes les plus influents de l’indie moderne. Des artistes comme Broadcast, Tame Impala, Sault ou encore Toro y Moi doivent une partie de leur esthétique sonore à ces architectes du son rétro-futuriste. Pour qui souhaite plonger dans leur discographie, ces cinq albums sont les jalons essentiels d’un voyage fascinant.
Stereolab en tournée :
03/06/25 : Nantes – Stéréolux
04/06/25 : Paris – Le Trianon
05/06/25 : Bordeaux – Rock School Barbey
09/06/25 : Grenoble – La Belle Electrique