Autant en apporte le vent
Le boum des comédies musicales vire au choc de titans. Septembre 1998. Un spectacle est à l’affiche du Palais des Congrès. Une nouvelle comédie musicale concoctée par Richard Cocciante et Luc Plamondon, qui va connaître un succès tel qu’aujourd’hui, on assiste à une déferlante de spectacles musicaux.
Si l’italien Cocciante se lance pour la première fois dans le genre, le Québecois Plamonodon n’est pas à son coup d’essai, puisqu’il a été le parolier d’un “opéra rock” fort célèbre : “Starmania.” En quelques mois, le succès de “Notre-Dame de Paris” va remettre au goût du jour ce genre pas si répandu jusque-là qu’est la comédie musicale.
Bien sûr, ce genre était déjà à l’affiche. On se rappelle de “la Légende de Jimmy” ou des “Nouveaux Romantiques”), mais il semble que depuis “Notre Dame”, les vannes sont ouvertes : on n’a jamais autant vus de comédies musicales. Chaque année depuis cinq ans, de nouveaux spectacles sont créés à tout-va.Tous les thèmes (la Bible, les contes de l’Orient), tous les auteurs (Shakespeare, Dickens, Saint Exupéry) y passent ou presque. Les grosses locomotives (Obispo) comme les chanteurs en mal de succès (Presgurvic, Lara, Valéry) tentent leur chance.
La rentrée verra un nouveau choc de titans : d’un côté, “Les Demoiselles de Rochefort” (à partir du 26 septembre au Palais des Congrès) et de l’autre, “Autant en emporte le vent” (à partir du 30 septembre au Palais des Sports). Deux oeuvres majeures… du cinéma. Cela en dit long à la fois sur la “compétition” quasi industrielle à laquelle se livrent les producteurs (avec le soutien de TF1 d’un côté, et de M6 de l’autre). Mais ce choc des titans met aussi cruellement en exergue le manque d’originalité patent des thèmes : on recycle Jacques Demy et Margaret Mitchell… En compagnie de Stéphane Ly Cuong, de la rédaction de Regard En Coulisse, le site d’actualité référence dans le domaine du “spectacle musical”, tentons de décrypter le boum des comédies musicales.
Stéphane Ly Cuong : “Notre-Dame de Paris” a sûrement marqué le début du boum des comédies musicales. Le succès de ce spectacle a montré que, contrairement aux idées reçues, le publis français pouvait apprécier une certaine forme de comédies musicales. Du coup, producteurs, maisons de disques, auteurs-compositeurs se sont engouffrés dans la brèche qui s’était ouverte.
Tu parles d’une “certaine forme de comédie musicale” ; avant, on pensais que le public n’aimait que les spectacles un peu “rock” tant dans la musique que le propos (“Starmania” ou “La légende de Jimmy”) ? “Notre Dame” a signifié que l’eau de rose, ça peut fonctionner ?
Non, je ne veux pas parler du côté eau de rose. Je veux juste dire que ce qui se monte en France est étiqueté “comédie musicale” mais il serait plus judicieux d’appeler ça du “spectacle musical.” Certains d’ailleurs préfèrent cette appellation. La “comédie musicale” à la française ne laisse aucune, mais absolument aucune place à la dramaturgie. Il s’agit d’une succession de chansons, vaguement liées entre elles par un fil conducteur. On ne peut pas comparer ça à ce qui se fait à Londres ou à New York. Je ne dis pas que l’un est mieux que l’autre, c’est une question de goût, mais on ne peut pas absolument pas comparer un spectacle parisien à un spectacle new-yorkais. Ce sont deux galaxies différentes.
“Oliver Twist”, “Ali Baba”, “Roméo et Juliette”, “Le petit prince”, “Cindy”, “Da Vinci”, “L’ombre d’un géant”, “Les dix commandements” : on annonce pour la rentrée “Les Demoiselles de Rochefort” et “Autant en emporte le vent”… et j’en oublie. On a l’impression que tout le monde tente sa chance. Qu’en penses-tu ?
Tout le monde tente sa chance et profite du vent favorable mais parmi tous ces gens, certains sont animés d’une vraie passion pour la comédie musicale. Maintenant, c’est le public qui fait son choix et qui détermine du sort de tous ces spectacles.
Tous les projets qu’on a vus ces dernières années, ce sont des projets qui sont nés par appât du gain (suite à l’engouement pour “Notre Dame”) ou qui étaient en préparation depuis longtemps et à qui la vogue des comédies musicales a donné un coup de pouce, les producteurs se disant “la conjoncture est bonne, tentons le coup” ?
Il serait malvenu de dire que tel ou tel projet est né par appât du gain, si on ne connaît pas tous les facteurs qui ont contribué à la création d’une comédie musicale. Accordons donc le bénéfice du doute aux productions qui manquent un peu de sincérité et disons plutôt qu’elles ont pu naître aussi parce que les producteurs étaient plus disposés à financer ce type de spectacles, parce que, effectivement, la conjoncture semblait bonne. De là ont pu naître des comédies musicales que certains artistes voulaient monter depuis longtemps, et d’autres qui sont apparues pour “profiter” du mouvement.
Qu’est-ce qui fait le succès d’une comédie musicale ? Une histoire et des personnages déjà connus ? Si l’on y regarde bien, la plupart des comédies musicales font appel à des classiques ou des légendes (Hugo, la Bible, les comtes de l’Orient, etc.) ?
S’il y avait une vraie recette, tout le monde l’appliquerait … Ceci dit, le fait d’utiliser une histoire déjà connue peut rassurer un certain public qui aime retrouver un univers, des personnages avec lesquels il est déjà familier.
En regardent les thèmes de spectacle, on constate qu’il y a peu de scénarii originaux. C’est un peu comme si le cinéma ne se mettait plus qu’à adapter des romans. Ou comme Walt Disney qui a pillé pas mal de contes (Cendrillon, Blanche Neige) ?
Ce n’est pas un problème propre à la France. A Broadway, très peu de comédies musicales sont basées sur des thèmes originaux, beaucoup sont des adaptations de films, de romans, etc.
Aucune oeuvre ne traite de thèmes actuels, ou graves comme c’est le cas dans le roman, ou le théâtre … Pas de “tragédie musicale”, donc ?
Pour beaucoup de gens en France, la comédie musicale est un divertissement, une évasion, donc on ne va pas y traiter de problèmes de société par exemple. Aux Etats-Unis, en revanche, une comédie musicale comme “Rent”, qui se joue depuis 1996, traite du SIDA, des SDF et des squatters. Ca ne l’empêche pas d’être un succès.
Est-ce que la comédie musicale n’est pas un moyen de se relancer pour un artiste un peu ringardisé : je pense à François Valéry, à Catherine Lara (qui prépare un spectacle sur le Graal), ou Gérard Berliner (qui essaie de monter une comédie musicale à propos d’Hugo et Juliette Drouet) ?
Peut-être mais tout le monde n’arrivera pas forcément à renouer avec le succès !
Une pièce comme “Rent”, ça pourrait se voir en France ? Soit la reprise de la pièce, soit quelque chose dans le même genre ?
Pourquoi pas. “Rent” étant très pop-rock, il peut s’adresser à une des cibles principales des producteurs de comédies musicales : les jeunes.
Par rapport à Broadway, les budgets en France sont comparables ou pas ?
Je pense qu’ils sont moindres en général. A Broadway, les spectacles sont obligés d’avoir de vrais musiciens, ce qui n’est pas le cas en France (où l’on utlise fréquemment des bandes enregistrées, NDR). Néanmoins, le prix d’une place pour une comédie musicale peut être plus cher que celle d’un concert classique.
Tu disais qu’en France, la comédie musicale est un divertissement et qu’il n’est donc pas question d’y traiter de problèmes de société par exemple.” Broadway et Paris, ce sont deux cultures différentes ?
La comédie musicale à Broadway a une histoire plus ancienne, le genre peut se permettre d’explorer des sujets nouveaux ou originaux. En France, on en est encore aux balbutiements, on ne prend donc pas de risques.
Pour vous informer sur l’actualité du spectacle musical : http://www.regardencoulisse.com
