Gabriel Yacoub, une vie au service de la chanson

Avec Gabriel Yacoub, c’est tout un pan de l’âme musicale française qui vient de s’éteindre. Le fondateur de Malicorne, légende du folk hexagonal, nous a quittés ce 22 janvier 2025, à Bourges. Co-fondateur de Malicorne, groupe phare du renouveau folk des années 1970, il a exploré avec une curiosité sans borne les racines musicales des régions francophones, tout en les transfigurant par une modernité audacieuse.
C’est à 20 ans, en 1972, que Gabriel Yacoub fait ses débuts sur scène aux côtés d’Alan Stivell, pionnier du folk breton et artisan de la renaissance de la harpe celtique. Pendant deux ans, il accompagne le harpiste lors de tournées mémorables et figure sur les albums “À l’Olympia” et “Chemins de terre”. Cette collaboration marquante le sensibilise à la richesse des musiques traditionnelles. Mais Gabriel a une autre vision : il ne se limite pas à la Bretagne. Avec Marie Sauvet, il enregistre en 1973 “Pierre de Grenoble”, un disque audacieux qui réinvente des chansons traditionnelles françaises. Ce premier opus pose les jalons d’une esthétique qui mariera les sonorités d’antan aux innovations du moment.
En s’associant avec Laurent Vercambre et Hugues de Courson, le couple donne naissance à Malicorne. Ce quartet unique fait du patrimoine musical un terrain d’expérimentation. Vielle à roue, harmonium et dulcimer dialoguent avec guitares électriques et basses modernes, dans une alchimie où tradition et avant-garde se confondent. Gabriel Yacoub, interrogé par “Libération” en 2014, expliquait : “Nous sommes partis de l’idée qu’il devait aussi y avoir des merveilles dans le folklore des régions francophones.” Et en effet à l’époque des émissions de Guy Lux ou Danièle Gilbert, cols pelle à tarte et paillettes, Malicorne propose un pas de côté salutaire en forme de retour aux racines berrichones et auvergnates, et de polyphonies.
Le groupe connaît un succès retentissant dans les années 1970, marqué par “Almanach” (1976), un album-concept construit autour des douze mois de l’année. Vendu à plus de 500 000 exemplaires, ce disque vaut à Malicorne le Grand Prix de l’Académie du disque français. Mais Malicorne n’est pas qu’une série de succès commerciaux : c’est une aventure collective où chaque morceau devient une fresque sonore, portée par les voix polyphoniques si caractéristiques du groupe.
Après cette décennie faste, les années 1980 sont plus mouvementées. Séparations, reformations : Malicorne change de configuration et Gabriel Yacoub s’oriente vers une carrière solo, entamée en parallèle dès les années 1970. Dans les années 90, il signe avec le label Boucherie Productions de François Hadji Lazzaro (voir notre article sur l’album “Babel”), puis lance le sien, appelé Le Roseau, pour publier ses propres albums et faire éclore des talents comme Bastien Lucas (voir notre article) ou la Compagnie Montanaro (voir notre article).
En 2008, à la question d’une possible reformation de Malicorne, il ne disait ni oui ou non, se contentant de dire “Malicorne a mis un terme définitif à ses aventures voilà déjà 27 ans ! ceci pour des raisons qui sont les mêmes aujourd’hui : chacun des musiciens souhaitant se consacrer à d’autres activités, néanmoins toutes artistiques. Nous avons eu le temps d’y réfléchir !” (voir notre article). En 2010, les Francofolies de La Rochelle réussissent à réunir Malicorne, un événement salué par le public comme un retour aux sources. Le groupe, désormais porté par Gabriel et Marie Yacoub, tire sa révérence en 2017 lors du Festival du Chant de Marin à Paimpol.
Gabriel Yacoub incarnait un pont entre passé et futur, reliant les époques avec une rare intelligence musicale. Loin d’une simple nostalgie, il faisait du répertoire traditionnel une matière vivante, vibrante, à redécouvrir sans cesse. Marie Sauvet, son ex-compagne et collaboratrice, a écrit : “Sa musique restera toujours.”