4hero “Two Pages”

La jungle prend du galon : avec “Two Pages“, 4hero a redéfini la drum & bass en la tirant vers des sphères insoupçonnées. Un album culte, qui n’a pas pris une ride, et qui continue d’inspirer.
On pourrait dire que “Two Pages” est un album de drum & bass, mais ce serait mentir. Ce disque dépasse son époque, traverse les genres, redéfinit ce que la jungle pouvait être. En 1998, alors que la scène UK est en pleine mutation, Dego et Marc Mac, alias 4hero, envoient un pavé dans la mare. Leur deuxième album n’est pas seulement une pierre angulaire du drum & bass, c’est un manifeste, une déclaration d’indépendance, un choc esthétique.
Une structure éclatée, un album en deux visages
Dès le titre, “Two Pages” annonce la couleur : il y a deux faces, deux approches, deux âmes dans cet album. La première moitié est une plongée futuriste dans un drum & bass orchestré, cinématique, où cordes et pianos dialoguent avec les breakbeats. La seconde moitié s’aventure dans la soul, le jazz-funk, la broken beat, traçant une passerelle entre les expérimentations électroniques et l’héritage de la musique noire.
Le morceau “Planetaria” ouvre le bal avec une sophistication qui tranche avec la jungle brute des débuts. “Star Chasers“, le single phare, est un chef-d’œuvre d’équilibre : un groove céleste, des arrangements de cordes somptueux et une voix aérienne qui semble flotter au-dessus de la rythmique syncopée.
Quand la jungle se prend pour un orchestre
Là où “Timeless” de Goldie jouait déjà avec la fusion symphonique, 4hero pousse le concept encore plus loin. Les arrangements sont complexes, d’une richesse hallucinante. “Universal Love” est une pièce de bravoure où le jazz rencontre la drum & bass avec une fluidité quasi naturelle. L’influence de Pharoah Sanders et de Herbie Hancock se ressent dans chaque recoin.
La seconde moitié du disque abandonne presque complètement le breakbeat. We Who Are Not as Others est un voyage cosmique, “Third Stream” puise dans la soul orchestrale des années 70, et Spirits in Transit lorgne vers la néo-soul avant l’heure. Avec le recul, il apparaît comme un chef-d’œuvre absolu, un disque qui a pavé la voie pour les explorations jazz de The Cinematic Orchestra, la soul électronique de D’Angelo, ou encore le broken beat de Bugz in the Attic.
★★★★★
4hero “Two Pages”, 2 CD (Talkin’ Loud/Mercury), 1998
Loveless (featuring Ursula Rucker) / Golden Age of Life / Planetaria (A Theme from a Dream) / Third Stream / Wormholes / Escape That / Mother Solar (Part One) / Spirits in Transit / Greys / The Action (featuring Ish AKA Butterfly) / Star Chasers / Wishful Thinking / Normal Changing World / Universal Reprise / We Who Are Not as Others / Humans / Pegasus 51 / Worlds End / De-Sci-Fer
Écoute obligatoire :
Si vous voulez comprendre “Two Pages“, commencez par “Star Chasers“, le titre le plus accessible.
Ensuite, plongez dans “Universal Love” pour la démonstration de force orchestrale.
Enfin, terminez avec We Who Are Not as Others, une odyssée contemplative qui résume l’ambition folle du projet.