New York Dolls, les punks qui aimaient le rouge à lèvres

New York Dolls, les punks qui aimaient le rouge à lèvres
Il est des groupes qui vendent des millions d’albums, qui remplissent des stades et qui trustent les classements. Et il y a les New York Dolls, qui n’ont jamais vendu grand-chose, mais qui ont tout changé.

Leur passage éclair dans les années 70 a suffi pour semer les graines du punk et du glam-punk, inspirant les Sex Pistols, les Ramones, Guns N’ Roses et à peu près toutes les bandes qui ont un jour voulu mélanger guitares sauvages, provoc’ et androgynie. À mi-chemin entre les Stones en overdose et un cabaret sous acide, les Dolls étaient un scandale ambulant, trop en avance sur leur temps, trop dangereux pour durer. Mais ils ont fini par revenir, le temps d’un second acte inespéré.

New York Dolls” (1973) : les rois du chaos

En 1973, tout est encore très propre dans le rock. Les dinosaures du prog dominent, Led Zeppelin vend des tonnes de disques et Bowie commence à jouer avec l’ambiguïté. Et puis arrivent les New York Dolls, ces cinq types en chemises à jabot, maquillage dégoulinant et bottes à talons, armés de guitares sursaturées et d’une attitude de loubards glam. Produit par Todd Rundgren, leur premier album est une gifle sonore. Dès “Personality Crisis”, c’est un déluge de riffs crasseux, de hurlements nasillards et de solos approximatifs. “Trash”, “Looking for a Kiss”, “Jet Boy”, tout est joué comme si leur vie en dépendait. Ça pue le rock’n’roll dans son expression la plus pure : sexe, drogue et chaos. Mais le public n’est pas prêt. L’album se plante commercialement.


Too Much Too Soon” (1974) : le baroud d’honneur

George “Shadow” Morton (le génie derrière les Shangri-Las) prend les manettes pour le deuxième album, et les Dolls penchent encore plus du côté du rock’n’roll dégénéré. Ils reprennent “Stranded in the Jungle”, vieux classique des années 50, et balancent des morceaux toujours plus hystériques comme “Babylon”. L’album est plus varié, plus maîtrisé, mais la magie noire du premier commence à s’effriter.En coulisses, c’est le chaos. Les excès de drogue, les tensions internes, et surtout l’indifférence du grand public minent le groupe. En 1975, Johnny Thunders et Jerry Nolan claquent la porte, laissant David Johansen et Sylvain Sylvain seuls à bord d’un navire en train de couler. Les Dolls s’écrasent avant d’avoir décollé.


L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais les New York Dolls deviennent un groupe culte. Leurs chansons sont reprises, leur look est copié, et Malcolm McLaren, qui les manage brièvement en 1975, appliquera leur esthétique et leur attitude aux Sex Pistols. Johnny Thunders, lui, poursuit avec les Heartbreakers et devient une légende du punk… avant de mourir d’une overdose en 1991. Jerry Nolan le suit en 1992. Pendant ce temps, David Johansen se réinvente sous le nom de Buster Poindexter, en crooner kitsch aux antipodes de son passé destroy, tandis que Sylvain Sylvain garde la flamme des Dolls vivante en solo.

Personne ne s’attendait à revoir les Dolls sur scène. Mais Morrissey, fan absolu, les convainc de se reformer pour le festival Meltdown en 2004. L’alchimie fonctionne encore. Johansen et Sylvain Sylvain relancent le groupe et enregistrent trois albums.

One Day It Will Please Us to Remember Even This” (2006) : le come-back classe

Premier album depuis 32 ans, ce retour était risqué. Plus de Johnny Thunders, plus de chaos total, mais David Johansen et Sylvain Sylvain ont encore la rage. Produit par Jack Douglas (Aerosmith, John Lennon), le disque reste fidèle au rock râpeux des Dolls tout en injectant une certaine maturité. Des titres comme “We’re All in Love” et “Dance Like a Monkey” montrent que le groupe n’a rien perdu de son humour ni de son énergie. Le son est plus propre, plus heavy par moments, et Johansen adopte un chant plus grave et bluesy. L’ensemble est un vrai miracle : les Dolls version 2006 sonnent vivants, inspirés, et surtout pertinents.


Cause I Sez So” (2009) : retour au garage

Trois ans après leur résurrection, les Dolls enchaînent avec Todd Rundgren, producteur de leur tout premier album en 1973. L’idée ? Retrouver l’esprit brut de leurs débuts. Le résultat est un album plus direct, plus garage, avec un son parfois minimaliste. Le titre éponyme “Cause I Sez So” déborde de morgue et d’insolence, “Muddy Bones” creuse un blues poisseux et “Exorcism of Despair” rappelle les fulgurances punk d’antan. En plein milieu du disque, surprise : une relecture reggae de “Trash“, leur classique de 1973. Un clin d’œil tendre à leur passé, qui divise les fans, mais prouve qu’ils n’ont rien perdu de leur goût du détournement.


Dancing Backward in High Heels” (2011) : le dernier tour de piste

C’est l’album chant du cygne, et ça s’entend. Exit le rock crade et furieux : ce dernier effort flirte avec les 50s et 60s, bourré d’influences doo-wop, r&b et pop vintage. Enregistré à Newcastle avec Jason Hill (Louis XIV) à la production, l’album est plus doux, plus mélodique, presque apaisé. Le single “Fool for You Baby” respire le r&b des origines, “Round and Round She Goes” évoque une sorte de cabaret glam-punk, et “I Sold My Heart to the Junkman” est une reprise soul inattendue. Sylvain Sylvain est omniprésent, apportant une touche nostalgique et fragile. Ce disque sent le bilan et la fin de l’histoire. Après sa sortie, le groupe ne tourne presque plus et Sylvain Sylvain meurt en 2021, enterrant pour de bon le nom des Dolls.


Ces trois albums n’ont jamais prétendu rivaliser avec l’explosion des années 70, mais ils offrent un beau testament. Plus mûrs, moins défoncés, les New York Dolls post-2000 ne cherchaient plus à brûler la chandelle par les deux bouts, mais à célébrer le feu qu’ils avaient allumé.

Jean-Marc Grosdemouge