“Dino Valente”, l’album solo d’un poète perdu

Fermez les yeux, nous sommes en 1968. Un an après l’explosion psychédélique de la côte Ouest, alors que le monde se divisait entre l’utopie du Summer of Love et l’amère réalité du Vietnam, un homme s’apprête à livrer son unique album solo. Cet homme, c’est Chester William Powers Jr., alias Dino Valente, un musicien qui a déjà connu le succès avec Quicksilver Messenger Service. Mais, en grande partie à cause de ses déboires avec la drogue, il se retrouve ici seul.
Chester ou Dino Valente ou Dino Valenti (ce “Dylan underground” a beaucoup changé de pseudo) va donc se foutre à poil sur une douzaine de chansons, faisant de cet album le document brut d’une époque tout autant marquée par l’idéalisme que par la descente aux enfers du rêve américain. Enregistré dans l’intimité de son propre studio, sans artifices ni chichis, l’album s’ouvre sur “Time”, une ballade douce et nostalgique, avant de s’éteindre sur “Test”, une mélancolie presque existentielle, qui résume à elle seule toute la quête du sens qui traverse cet album. On y retrouve des morceaux comme “Me and My Uncle”, une reprise de John Phillips, qui vient marquer une connexion avec un autre monde, celui de la contre-culture californienne. Pourtant, la magie de cet album n’a jamais vraiment pris, pas comme Dino l’aurait voulu. Alors que ses premiers pas sur la scène de la musique populaire furent salués, ce disque n’a pas déchaîné les foules. Trop intime, trop décalé par rapport aux attentes du moment.
Le problème, peut-être, réside dans cette construction en solitaire. Avec ses propres mains, Valente joue de tous les instruments, offrant un son brut, dépouillé de toute finition trop soignée. Il y a dans cette approche un contraste saisissant entre l’ambition de toucher à l’universel et la sensation de vulnérabilité, presque maladive, qui transparait à chaque note. “Test” est une épreuve, un passage obligé où l’artiste se cherche et se trouve dans la solitude de son propre univers sonore. La réverbération, les effets parfois envahissants, l’écho d’une voix pas toujours maîtrisée, tout forme un ensemble qui ne fait pas forcément sens immédiatement. Et qui ne peut clairement pas emballer les hits parades, qui recherchent le hit parfait, imparable, qui s’offre au plus grand nombre.
La critique, pour une fois, s’est montrée aussi froide que l’atmosphère de l’album. Le son, jugé trop monotone, n’a pas permis à l’album de s’imposer auprès des masses. Les critiques, souvent acerbes, ne voyaient dans ce disque qu’un enregistrement de plus parmi tant d’autres, une œuvre sans direction précise, noyée dans un excès de réverbération, manquant de cette lumière qui a fait le succès des groupes de la scène psychédélique californienne.
Pourtant, avec le temps, cette œuvre est devenue une sorte de secret bien gardé, une perle cachée pour les passionnés de folk et de psyché. La profondeur des textes et la recherche musicale en font un témoignage à la fois mélancolique et authentique d’un homme qui, tout en étant inscrit dans son époque, s’en détache pour livrer un cri solitaire. L’album de Dino Valente est pour ceux qui cherchent à comprendre l’invisible, à capter ce qu’on ne dit pas, à écouter le murmure entre les lignes.
Le destin de Valente, après cet album, fut aussi compliqué que la musique qu’il a composée. Sa carrière fut marquée par les rebondissements : une incarcération en 1966, puis le succès de “Get Together”, hymne de la paix chanté par The Youngbloods, qu’il avait pourtant écrit dans un moment de désespoir. Mais avec ce disque, il a pris un chemin différent, un chemin solitaire. Un chemin qui, à l’époque, n’a pas trouvé son public, mais reste aujourd’hui un miroir d’un homme à la recherche de sens, perdu dans un monde qui, lui, semble avoir tout trouvé.
★★★★★
Dino Valente “Dino Valente” (Epic), 1968
Time / Something New / My Friend / Listen To Me / Me And My Uncle / Tomorrow / Children Of The Sun / New Wind Blowing / Everything Is Gonna Be OK / Test / Shame On You Babe / Now And Now Only