Everything But The Girl “Eden”

Everything But The Girl “Eden”

“Eden” a la suprême élégance de pas chercher à s’imposer. Il glisse dans l’air comme une fin d’après-midi d’été, laissant derrière lui des effluves de bossa nova, de jazz et de mélancolie pop. Au risque de rester éternellement un bjou pop pour amateurs ? C’est mal nus connaître, et l’on va se faire un plaisir de le (re)mettre en lumière pour qu’il brille de mille feux.

En 1984, Everything But The Girl n’est pas ce duo adoubé par les dancefloors (“Missing”) et dans le paysage le duo ne ressemble à personne. Trop sophistiqué pour la pop anglaise new wave, trop délicat pour la scène indie, trop intimiste pour les charts. Ben Watt et Tracey Thorn viennent de l’underground mais leur musique regarde ailleurs – vers le Brésil, vers la pop sixties, vers les clubs où l’on danse doucement, verre à la main.

Le charme discret de la pop

Dès “Each and Every One”, premier titre et premier single, on comprend qu’EBTG ne fera jamais du rock à guitare. Une trompette veloutée, une basse qui chaloupe, et la voix de Tracey Thorn, pure, précise, posée sur la musique comme une confidence à peine murmurée. La prochaine fois qu’on croisera Benjamin Biolay ou Keren Ann, penser à leur demander si cet album les a aidés à plancher sur les chansons qu’ils ont proposées à Henri Salvador pour son retour des années 2000 (“Jardin d’Hiver”).

Mais revenons à Tout Sauf La Fille : sur “Tender Blue”, Ben chante comme Chet Baker. La voix de Tracy, ellen flotte au-dessus d’une mer de cordes discrètes, sur “Another Bridge”, elle prend des accents soul tandis que Ben Watt glisse des accords élégants, jazzy. “Crabwalk”, plus enjoué, ose le mélange entre lounge et pop anglaise, un virage que le duo explorera encore plus tard.

Derrière cette douceur, il y a toujours une mélancolie lancinante, comme un bonbon piquant. “Eden” est un album d’adolescence qui regarde vers l’âge adulte, une collection de chansons qui oscillent entre insouciance et gravité, comme si le duo savait déjà que l’innocence ne dure qu’un temps.

Un disque trop fin pour son époque ?

À sa sortie, “Eden” trouve son public mais reste un disque d’initiés. Il se glisse dans les discothèques des amateurs de pop exigeante, mais ne crève pas l’écran comme il aurait dû. Ce n’est que plus tard qu’il deviendra une pierre angulaire de l’élégance pop, un album que l’on redécouvre avec une tendresse infinie, en se demandant comment il a pu passer sous tant de radars.

Everything But The Girl ira ailleurs ensuite – vers la soul, vers l’électro, vers des albums plus produits. Mais “Eden” reste leur miracle discret, leur carte postale intemporelle d’une époque où la pop osait encore être subtile et feutrée. Le rapport entre cet album de 1984 et leur “Fuse” de 2023 ? D’un point de vue son, rien à voir entre les ballades jazzy et un banger dance comme “Nothing left to lose”, si ce n’est l’excellence jamais démentie de ce duo à la ville comme à la scène… sauf qu’on ne les voit plus sur scène. S’ils mettent en vente des billets, même au Pôle Nord, on y va. A la nage.

★★★★★

Everything But The Girl “Eden”, 1 CD (Blanco y Negro), 1984

Each and Every One / Bittersweet / Tender Blue / Another Bridge / The Spice of Life / The Dustbowl / Crabwalk / Even So / Frost and Fire / Fascination / I Must Confess / Soft Touch

Jean-Marc Grosdemouge