“Odessey and Oracle”, le triomphe tardif des Zombies

“Odessey and Oracle”, le triomphe tardif des Zombies

1968, une année où tout explose, tout brûle, tout change. Et au milieu de ce chaos, un petit groupe anglais à la mèche bien peignée lâche une bombe discrète qui ne fera que des “flop” sur le moment avant d’exploser des décennies plus tard : “Odessey and Oracle”. Oui, avec une faute d’orthographe dans le titre, mais après tout, ça colle. Les Zombies, ces types qui avaient déjà envoyé la concurrence au tapis avec “She’s Not There” en 1964, reviennent avec une collection de chansons tellement lumineuses qu’on se demande s’ils n’ont pas distillé du soleil en vinyle.

Enregistré avec un buget très serré, ce qui rend la prouesse artistique encore plus impressionnante, l’album est une sorte de miracle. Les gars enregistrent dans les mythiques studios Abbey Road et Olympic, là où les Beatles bricolent leur “Sgt. Pepper”. Sauf que contrairement aux Beatles et leur budget d’overdose, les Zombies bossent avec des clopinettes. Résultat : une précision chirurgicale dans chaque note, chaque harmonie. Pas le droit à l’erreur.

Et quelle ouverture ! “Care of Cell 44” vous accueille avec cette mélodie pop qui vous fait sourire bêtement, jusqu’à ce que vous pigiez que c’est une lettre à une amante en taule. Les Zombies sont des alchimistes : ils transforment le plomb de la mélancolie en or pop. Et que dire de “Time of the Season” ? Ce groove de basse, ce “Who’s your daddy?” presque insolent… C’est le genre de morceau qui pourrait faire rougir Marvin Gaye en pleine session de “Let’s Get It On”. Mais à l’époque ? Rien. Zéro. Pas une vibration dans les charts.

On pourrait croire que ces types sortaient leur chef-d’œuvre dans une sorte de sérénité hippie, mais en fait, c’était un champ de bataille. Colin Blunstone et Rod Argent, les cerveaux du groupe, s’envoyaient des piques à chaque prise, parce que, surprise, tout le monde voulait avoir raison. Et pourtant, de cette tension naît une perfection déchirante. “A Rose for Emily” est une perle mélancolique digne de Faulkner. “This Will Be Our Year”, c’est l’hymne de l’espoir, le rayon de lumière dans l’album.

Mais bien sûr, le monde est injuste. Les Zombies sortent “Odessey and Oracle”, se séparent avant même qu’on ait fini d’imprimer les pochettes, et l’album tombe dans un trou noir. Pas de promo, rien. Il faut attendre que “Time of the Season” devienne un hit aux États-Unis un an plus tard pour que quelqu’un réalise qu’un chef-d’œuvre traîne dans les bacs à soldes.

Aujourd’hui, c’est le triomphe tardif. L’album figure dans toutes les listes des “meilleurs disques de tous les temps”, comme une sorte de revenant qui hante les classements pour se venger de l’indifférence initiale. Des tas d’artistes d’hier et d’aujourd’hui en parlent comme si c’était une relique sacrée. Et ils ont raison. “Odessey and Oracle”, c’est plus qu’un album, c’est une petite machine à voyager dans le temps, un rappel que l’échec d’hier peut devenir le triomphe de demain.

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The Zombies “Odessey and Oracle”, 1968

Jean-Marc Grosdemouge