The Rolling Stones “Let It Bleed”

Prévenez les sismologues ! “Let It Bleed” est une secousse sismique. Maousse sur l’échelle de Richter. Un disque qui hurle la fin d’une ère tout en annonçant l’avènement d’une autre. Rien ne sera plus pareil après lui.
1969 : année éwotique dans la bouche de Birkin, mais charnière pour Lick et les siens. Pendant que les Beatles entrent dans leur dernier acte avec “Abbey Road”, les Rolling Stones embrassent la noirceur de leur époque et livrent “Let It Bleed”, un disque où se côtoient hédonisme et chaos, blues ancestral et rock ravagé. C’est l’album d’un groupe qui sent le soufre, qui absorbe la violence de son temps et la transforme en une bande-son aussi sublime que dépravée.
Dès “Gimme Shelter”, tout est dit. Keith Richards pose un riff spectral, Marianne Faithfull souffle dans le cou de Mick Jagger et l’Amérique vacille. Le Vietnam est partout, l’ombre d’Altamont plane déjà. Le gospel hante les guitares, la voix de Merry Clayton explose en plein vol. L’apocalypse n’a jamais été aussi séduisant.
L’album est un patchwork de styles qui résume parfaitement ce que les Stones savent faire de mieux. “Love in Vain”, reprise de Robert Johnson, ramène le blues au premier plan, dépouillé et déchirant. “Midnight Rambler” est un monstre hybride, entre ballade et explosion fiévreuse, un condensé du mythe du tueur en série sur un tapis de slide guitar menaçant.
Mais les Stones ne font pas que hurler leur mal-être. “You Got the Silver”, premier titre entièrement chanté par Keith Richards, est une merveille fragile et lancinante. “Monkey Man” oscille entre démesure et ironie, avec des guitares trempées dans le psychédélisme. Puis vient “You Can’t Always Get What You Want”, conclusion grandiose et désenchantée, où la fanfare londonienne se fracasse contre les idéaux brisés des années 60.
Sorti en décembre 1969, quelques jours avant le fiasco d’Altamont, “Let It Bleed” est un testament avant l’heure. Brian Jones est déjà parti, remplacé par Mick Taylor, et les Rolling Stones s’apprêtent à entrer dans leur décennie la plus faste. Mais ici, tout est déjà là : la démesure, le vice et la grandeur du plus grand groupe de rock du monde.
★★★★★
The Rolling Stones “Let It Bleed”, 1969
Gimme Shelter / Love in Vain / Country Honk / Live with Me / Let It Bleed / Midnight Rambler / You Got the Silver / Monkey Man / You Can’t Always Get What You Want
Écoute obligatoire :
- “Gimme Shelter” : apocalypse et frissons garantis.
- “Midnight Rambler” : une transe blues qui tourne au carnage.
- “You Got the Silver” : Keith Richards à nu, une perle folk.
- “You Can’t Always Get What You Want” : l’hymne désenchanté d’une génération.