“Post”, la révolution sonore de Björk

Le successeur de “Debut” incarne l’effervescence de Londres et son esprit avant-gardiste. Entre beats industriels, ballades électroniques et jazz explosif, l’artiste islandaise livre un kaléidoscope sonore qui continue de fasciner. Plongée dans un disque qui a redéfini les frontières de la pop.
Imaginez une ville en constante ébullition, des clubs londoniens aux murs tremblants sous les basses électroniques, des rues saturées d’histoires, de visages et d’accents. En 1995, c’est là, au cœur de cette effervescence, que Björk compose “Post”. Après le succès de “Debut”, elle aurait pu jouer la carte de la sécurité. Mais non. Elle choisit de s’aventurer encore plus loin, d’élargir ses horizons sonores, portée par une curiosité insatiable et un goût pour l’expérimentation.
L’album s’ouvre sur “Army of Me”, un véritable coup de poing. Avec ses basses lourdes et sa production industrielle signée Graham Massey, la chanson est une injonction directe adressée à son frère cadet. “Si te plains encore, je t’envoie une armée de moi” : réveille-toi, prends-toi en main, semble-t-elle crier, avec une puissance inébranlable. Ce titre donne immédiatement le ton : Björk est là pour secouer, déranger, captiver. Puis vient “Hyperballad”, un chef-d’œuvre introspectif. Sur un lit de beats électroniques minimalistes, Björk imagine jeter des objets du haut d’une falaise, symbole de libération émotionnelle. Une métaphore audacieuse qui a trouvé écho auprès d’un public cherchant à apprivoiser ses propres démons.
Mais Björk ne se limite pas à l’électronique. Elle surprend avec “It’s Oh So Quiet”, une reprise d’un standard jazzy des années 50. Avec des arrangements en big band explosifs, ce morceau montre une facette théâtrale et joyeuse qui contraste avec le reste de l’album. Le clip légendaire signé Spike Jonze est là pour enfoncer le clou.
“Post” est aussi un album de collaborations brillantes. Tricky, le maître du trip-hop, injecte sa noirceur caractéristique dans “Enjoy”, tandis qu’Eumir Deodato, légende brésilienne, pare “Isobel” de somptueux arrangements orchestraux. Nellee Hooper et Howie B, deux piliers de la scène électronique, apportent leur expertise, permettant à Björk de modeler chaque morceau comme une œuvre uniqueAvec plus de 3 millions d’exemplaires vendus, Björk atteint une reconnaissance internationale tout en restant fidèle à sa vision artistique.
La tournée qui suit l’album est à la hauteur de son univers. Costumes avant-gardistes, projections visuelles et interprétations envoûtantes transforment chaque performance en une expérience totale. “Post” est une déclaration artistique. Un mélange de genres, une mosaïque sonore qui défie les conventions tout en touchant à l’intime. Björk, en véritable alchimiste, réussit à créer une œuvre où chaque note, chaque silence, a sa place. En replongeant dans “Post” aujourd’hui, c’est comme ouvrir ses vieux agendas de collège à soi : on retrouve cette audace (celle de Björk, pas la notre), cette fraîcheur qui n’a rien perdu de son éclat. Une fois de plus, miss Guðmundsdóttir nous rappelle que la musique est un territoire infini à explorer.
★★★★★
Björk “Post”, 1 CD (One Little Indian/Barclay), 1995
Army of Me / Hyperballad / The Modern Things / It’s Oh So Quiet / Enjoy / You’ve Been Flirting Again / Isobel / Possibly Maybe / I Miss You / Cover Me / Headphones