The Velvet Underground “The Velvet Underground & Nico”

The Velvet Underground “The Velvet Underground & Nico”

“L’album à la banane” n’est pas un simple album. C’est une porte d’entrée vers un monde parallèle, une œuvre qui ne cherche pas à plaire mais à marquer au fer rouge.

Il y a des albums qui sortent, cartonnent, puis disparaissent. Et puis il y a ceux qui passent inaperçus à leur sortie, mais dont l’onde de choc se propage sur des décennies. “The Velvet Underground & Nico” appartient à cette seconde catégorie. Lorsque le disque sort en mars 1967, peu de gens l’achètent, mais chaque personne qui l’écoute semble fonder un groupe dans la foulée. Car cet album ne ressemble à rien de connu : un mélange d’art expérimental, de pop glacée, de rock minimaliste et de chaos bruitiste. C’est une anomalie musicale qui va devenir une référence absolue.

Tout commence par une pochette iconique : une banane dessinée par Andy Warhol, mentor du groupe. Un symbole parfait, pop et provocateur, pour un disque qui ne cherche pas à séduire mais à désorienter. Car dès les premières notes de “Sunday Morning”, un faux air de berceuse illuminée par le glockenspiel, on comprend qu’il se trame quelque chose d’étrange. Lou Reed, voix douce et lasse, nous plonge dans une mélancolie étrange, presque inquiétante.

Mais ce n’est qu’une façade trompeuse. Dès “I’m Waiting for the Man”, on bascule dans l’underground new-yorkais. Un riff de piano implacable, une basse hypnotique, et Lou Reed qui chante l’attente d’un dealer avec une désinvolture désarmante. En 1967, personne ne parle aussi crûment de la drogue dans la musique pop. Et ce n’est que le début.

Puis vient “Femme Fatale”, où la voix glaciale de Nico nous berce dans un film noir, une ballade vénéneuse écrite par Reed pour la Factory d’Andy Warhol. Mais cette douceur ne dure pas. Le Sacher-Masochien “Venus in Furs” enchaîne, avec son violon dissonant et ses paroles inspirées de Sacher-Masoch. C’est une descente aux enfers lente et hypnotique, où la luxure et la douleur se confondent dans un tourbillon lancinant.

L’album est une alternance constante entre douceur vénéneuse et chaos. “Run Run Run” est un rock électrique et crasseux, une déambulation sous acide dans les rues de New York. “All Tomorrow’s Parties”, chanté par Nico, sonne comme une procession funèbre, glaciale et hypnotique. Et puis arrive “Heroin”, l’un des morceaux les plus radicaux jamais écrits. Une chanson qui mime la montée d’une injection : un début lent, une accélération frénétique, un apogée chaotique où tout semble s’effondrer. C’est plus qu’une chanson, c’est une expérience.

Ce disque a tout prévu avant tout le monde. Il contient déjà la noise de Sonic Youth, la froideur du post-punk, l’attitude du punk, l’expérimentation du krautrock, le minimalisme du lo-fi. En 1967, le monde n’était pas prêt pour “The Velvet Underground & Nico”. Mais il allait finir par lui donner raison.

★★★★★

The Velvet Underground “The Velvet Underground & Nico”, 1 CD (Verve) 1967

Sunday Morning / I’m Waiting for the Man / Femme Fatale / Venus in Furs / Run Run Run / All Tomorrow’s Parties / Heroin / There She Goes Again / I’ll Be Your Mirror / The Black Angel’s Death Song / European Son

Écoute obligatoire :

  • Sunday Morning” : une fausse berceuse hantée,
  • I’m Waiting for the Man” : un hymne urbain brut et hypnotique,
  • Venus in Furs” : une plongée dans la décadence sensuelle,
  • Heroin” : une montée en puissance vertigineuse, aussi sublime que terrifiante.

Jean-Marc Grosdemouge