Nirvana “Nevermind”

Nirvana “Nevermind”

Trois mecs, une batterie pétée et un album qui a tout changé. Rien ne prédestinait Nirvana à révolutionner la musique. Un trio grunge fauché, une rage sourde, et puis ce disque, sorti en 1991, qui allait balayer le rock FM et imposer une nouvelle génération. “Nevermind” n’était pas censé exploser. Mais en quelques mois, il est devenu l’album d’une époque, propulsant Kurt Cobain au rang d’icône malgré lui.

À l’origine, Nirvana, c’était juste un groupe de plus. Un trio grunge paumé dans l’Amérique pluvieuse de Seattle, coincé entre des concerts miteux et des galères de van en panne. Kurt Cobain, fils d’une Amérique ouvrière en crise, écrivait des chansons entre deux squats, Krist Novoselic était son grand copain de lycée, et Dave Grohl venait à peine d’être recruté derrière les fûts. Rien de bien excitant. Rien qui laissait présager que, six mois après la sortie de “Nevermind“, ils deviendraient les rockstars les plus adulées et les plus détestées du monde.

Du bruit, du pop et Butch Vig

En 1990, Nirvana enregistre “Bleach“, un premier album sale et minimaliste, produit pour 600 dollars. Sympa, mais pas de quoi changer l’histoire du rock. Pourtant, Cobain a une idée fixe : il veut écrire des chansons pop, mais qui cognent. Il écoute autant les Pixies que les Beatles et rêve d’un son qui marierait la rage du punk avec la clarté mélodique de la pop anglaise.

Enter Butch Vig, producteur aux manettes. Lui, il comprend ce que Cobain cherche : un son massif mais pas trop poli, des guitares épaisses mais des voix limpides. En studio, ça ne rigole pas : les prises s’enchaînent, Grohl martyrise sa batterie, et Cobain balance ses textes torturés entre deux migraines. Le tout avec un budget bien plus sérieux que pour “Bleach” (65 000 dollars, merci Geffen).

L’album qui dérape

Quand “Nevermind” sort, personne ne s’attend à un raz-de-marée. L’album devait toucher le public alternatif, rester dans son coin, vivre sa vie de disque culte parmi tant d’autres. Mais il y a ce titre, “Smells Like Teen Spirit“, ce riff qui claque comme une allumette, cette voix qui éructe une colère floue et universelle. La génération MTV s’en empare, et en quelques semaines, Nirvana passe du groupe fauché à la formation la plus exposée de la planète.

Le succès devient un piège. Cobain se déteste en icône. Il vomit les interviews, méprise ceux qui chantent ses paroles sans les comprendre, fuit la lumière en s’enfonçant dans l’héroïne. Il voudra tout casser avec In Utero, mais trop tard : la machine est en marche. Trois ans plus tard, il met fin à ses jours, laissant derrière lui une génération orpheline et un album devenu un monument.

Pourquoi “Nevermind” est toujours là

Ce disque n’a pas seulement marqué son époque, il a réécrit les règles. Il a enterré le rock FM des années 80, ouvert la voie aux Pixies, Soundgarden et Pearl Jam, et transformé le grunge en phénomène mondial. Mais surtout, il a capté un sentiment d’urgence et de malaise qui résonne encore aujourd’hui. Le mythe s’est fossilisé, mais l’impact est toujours là. Mets “Nevermind” sur une platine, monte le son, et le coup de poing reste le même.

★★★★★

Nirvana “Nevermind” (Geffen, 1991)

Smells Like Teen Spirit / In Bloom / Come as You Are / Breed / Lithium / Polly / Territorial Pissings / Drain You / Lounge Act / Stay Away / On a Plain / Something in the Way










Jean-Marc Grosdemouge