Archive : noir, mon amour
Avec “Londinium“, Archive délivre l’un des disques les plus sombres, tendus et majestueux du trip-hop britannique. Une œuvre totale, claustrophobe et sublime, qui pose les bases d’un groupe déjà trop grand pour son époque.
On dirait que Londres s’est levée du mauvais pied. Ou qu’un nuage noir a définitivement décidé de stationner au-dessus de la ville. Ce premier album n’a rien d’une carte postale : c’est une coulure, un précipité, une tempête lente qui envahit tout. Dès les premières secondes, on comprend que Danny Griffiths et Darius Keeler ne veulent pas simplement rejoindre la scène trip-hop : ils veulent l’engloutir, la déchirer, la réinventer.
Contrairement aux cousins de Bristol, Archive injecte dans la formule une tension presque industrielle — froide, métallique, urbaine. Ici, pas de mélancolie élégante, pas de spleen soyeux : Londinium est une ville perceuse, un tunnel, un souterrain où tout résonne. Les beats claquent comme des portes d’entrepôt, les cordes sont tirées à bout de nerfs, les nappes électroniques avancent comme du brouillard toxique.
La voix de Roya Arab, fragile et fière tout à la fois, éclaire ces ténèbres d’une lumière oblique. Sur “Nothing Else“, elle semble chanter depuis une pièce sans fenêtres. Sur “Headspace“, elle devient presque chamanique, comme si elle récitait un rituel de survie urbaine. Sa présence donne au disque un cœur qui bat. Lentement, mais sûrement.
Et puis il y a Rosko John, rappeur spectral, voix grave, diction chirurgicale. Ses interventions découpent les morceaux comme des lames. Sur “Londinium“, le titre phare, il apporte une tension politique — on croit entendre un manifeste de trottoir, un communiqué d’une ville à bout de souffle.
Ce qui frappe, c’est l’ambition. L’album agit comme une bande-son complète : transitions, interludes, arcs narratifs- tout se tient. Archive ne fait pas des chansons. Archive construit un monde. Un monde où la paranoïa a remplacé la météo, où les immeubles parlent, où les couloirs du métro respirent trop fort. Il flotte sur “Londinium” une atmosphère fin de siècle, une esthétique de ruine hypermoderne qui évoque autant Portishead que les bandes-son de Cronenberg.
Le disque n’a pas encore la majesté progressive que le groupe développera plus tard — il a autre chose : la rage, l’urgence, l’affolement tranquille. Le sentiment de tenir entre les mains un artefact précis, froid, radical, un premier album qui n’essaie pas de plaire mais de marquer.
Il y a parfois des disques que l’on ne “comprend” qu’avec le temps.
Londinium, lui, s’impose immédiatement — comme une évidence sombre, un classique instantané.
★★★★★
