David Ackles “American Gothic”, une Amérique en clair-obscur

David Ackles “American Gothic”, une Amérique en clair-obscur

Avec son titre inspiré par le tableau de Grant Wood (photo ci-contre), “American Gothic” est une radiographie d’une Amérique tourmentée, un miroir tendu aux âmes perdues et aux rêves inachevés. Si l’œuvre de David Ackles reste confidentielle, elle n’en demeure pas moins essentielle pour ceux qui cherchent, au-delà des paillettes, la poignante beauté de la vérité humaine.

Quand David Ackles sort ce long format en 1972, le paysage musical est en ébullition. Le rock des années 70, avec ses envolées psychédéliques et ses riffs libertaires, semble bien loin des compositions introspectives et littéraires de cet album produit par Bernie Taupin, le célèbre parolier d’Elton John. Pourtant, cet opus, souvent considéré comme le chef-d’œuvre de David Ackles, reste une œuvre à part, un tableau d’ombres et de lumières dépeignant l’Amérique des laissés-pour-compte.

Une œuvre littéraire au croisement des genres

À l’image de sa pochette, sobre et évocatrice, “American Gothic” est un album à écouter comme on lirait un recueil de nouvelles. Chacune des onze chansons est une vignette, une tranche de vie souvent teintée de mélancolie. Dans le morceau titre, Ackles campe Molly et Horace Jenkins, un couple rural désabusé : “Ils rompent le pain, mais ne peuvent pas parler”. Cette poignante critique sociale met en lumière l’isolement émotionnel, l’ennui et les non-dits dans l’Amérique profonde.

Ackles se distingue par son écriture cinématographique et théâtrale. Formé aux études cinématographiques à l’USC, il compose ses chansons comme des scènes de film. “Midnight Carousel” et “Montana Song”, avec leurs orchestrations proches de celles de Kurt Weil ou de Scott Walker et leur narration évocatrice, semblent sortir d’une pièce de Tennessee Williams ou d’un tableau d’Edward Hopper.

Bernie Taupin, le producteur inattendu

La rencontre entre Ackles et Bernie Taupin marque un tournant. Fasciné par l’écriture du chanteur, Taupin met tout son poids dans la production de cet album. Enregistré aux mythiques studios Trident à Londres, “American Gothic” bénéficie de l’apport d’un orchestre complet, conférant à certaines pièces une ampleur quasi symphonique. Pourtant, malgré ces moyens, Ackles reste fidèle à son minimalisme émotionnel : chaque mot, chaque note semble pesé.

Dès sa sortie, “American Gothic” reçoit des critiques élogieuses. Rolling Stone loue son audace et son érudition, tandis qu’Elton John et Elvis Costello ne tarissent pas d’éloges. Ce dernier dira même que Ackles est “le plus grand songwriter américain que le monde ait oublié”.

Malheureusement, l’album peine à trouver son public. Trop élégant pour le rock, trop sombre pour la variété, il se perd dans un no man’s land commercial. Ackles, déçu par l’industrie musicale, se retire progressivement, signant un dernier album, “Five & Dime”, avant de se consacrer à l’écriture de scénarios et à l’enseignement.

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David Ackles “American Gothic”, Elektra, 1972

Jean-Marc Grosdemouge