Happy Mondays “Pills ‘n’ Thrills and Bellyaches”

Pilules, frissons et crampes d’estomac, pas top le programme. Sauf s’il s’agit non d’un retour de virée merdique mais de cet album. La bande de joyeux allumés menée par Shaun Ryder y capture l’agitation frénétique de Manchester au tournant des années 1990, à un moment où la fête devient une philosophie et le chaos une esthétique. C’est une fusion brute entre rock primal et transe rave, une alchimie qui fait suinter l’insolence et l’excès à chaque note. Sous la production impeccable de Paul Oakenfold et Steve Osborne, le groupe parvient enfin à canaliser sa déglingue créative en quelque chose de massif, sensuel et immédiatement addictif.
L’album s’ouvre sur “Kinky Afro”, hymne hédoniste porté par la voix traînante de Shaun Ryder et les chœurs percutants de Rowetta. À travers des lignes de basse galopantes et des rythmes hypnotiques, les Happy Mondays créent un groove insidieux, inoubliable trente ans après. Les riffs décalés de Mark Day et les beats métronomiques de Gary Whelan forment une colonne vertébrale solide à ce chaos organisé. Et puis, même si on ne l’entend pas, il y a Bez, ce danseur iconique et incontrôlable, incarnation vivante de l’esprit anarchique du groupe. Une paire de jambes qui tourne comme si elles étaient connectées directement au BPM, et ça aussi ça compte.
Jusqu’ici, les Happy Mondays avaient pu être perçus comme une aimable private joke, celle d’un groupe jouant pour lui-même, une curiosité chaotique où l’humour et l’énergie semblaient réservés à un cercle d’initiés. Avec “Pills ‘n’ Thrills and Bellyaches”, ils transcendent cette image. L’album parvient à traduire leur folie en quelque chose de beaucoup plus universel et contagieux, capable de prendre ses petits pieds et d’aller conquérir la planète. L’accordéon c’est cool (“Donovan”) et “Step On”, reprise de John Kongos, est la preuve éclatante de cette transformation : une vieille ritournelle oubliée devient un monument euphorique. “Loose Fit” invite à relâcher la pression, à se laisser emporter par une ambiance moite et hypnotique, tandis que “Dennis and Lois” rend hommage à deux figures mythiques de la scène musicale new-yorkaise, ouvrant leur univers à une dimension transatlantique.
Chaque boucle, chaque riff, chaque ligne de basse semble conçu pour tourner indéfiniment dans un esprit collectif. C’est une fête sonore où les lendemains de veille ne comptent pas, une œuvre taillée pour des nuits où le soleil tarde à se lever. Avec “Pills ‘n’ Thrills and Bellyaches”, les Happy Mondays ne racontent pas une époque : ils la vivent, ils l’incarnent, et ils la façonnent. Là où d’autres cherchent des hymnes, eux fabriquent des transes ; là où d’autres construisent des mélodies, eux forgent des atmosphères. Manchester n’a jamais été aussi vivante qu’au travers de ces rythmes détraqués et de ces paroles déglinguées.
★★★★★
Happy Mondays “Pills ‘n’ Thrills and Bellyaches”, 1 CD (Factory), 1990
Kinky Afro / God’s Cop / Donovan / Grandbag’s Funeral / Loose Fit / Dennis and Lois / Bob’s Yer Uncle / Step On / Holiday / Harmony