The Jesus and Mary Chain, un raz-de-marée de distorsion

Un disque en équilibre instable, entre bruit blanc et mélodies sucrées, entre chaos et extase. Un album qui semble vouloir s’effondrer à chaque seconde, mais qui tient miraculeusement debout, porté par une arrogance glaciale et une vision démente du rock’n’roll.
Quand sort “Psychocandy” en 1985, personne n’est prêt. Depuis quelques années, l’Angleterre est en pleine cure de new wave, coincée entre les synthés froids de Depeche Mode et les complaintes romantiques des Smiths. Et voilà que débarquent deux frères écossais, les Reid, avec leurs cuirs élimés, leurs lunettes noires et une attitude de types qui méprisent tout et tout le monde. Leur mission ? Détruire le rock à coups de fuzz et de réverb’ jusqu’à ce qu’il devienne méconnaissable. Dès les premières secondes de “Just Like Honey”, c’est une révélation : une rythmique lente, piquée au Be My Baby des Ronettes, une mélodie douce, quasi sucrée. Mais autour… c’est le carnage : une réverbération infernale. Jim Reid chante comme s’il était à moitié endormi, détaché, absent, tandis que la guitare semble couvrir le moindre de ses mots sous une nappe de bruit blanc. Cette tension entre douceur et chaos est la signature du disque. Un équilibre précaire qui fait de “Psychocandy” une œuvre en suspension, toujours à la frontière entre l’effondrement et l’extase.
Puis la brutalité reprend le dessus car on n’est pas chez des enfants de choeur. “The Living End” tabasse sans prévenir, dans un rockabilly sous speed écrasé par la fuzz. “Never Understand” est un manifeste en soi, une mélodie pop impeccable transformée en apocalypse sonore. À chaque morceau, le même principe : une chanson qui, en d’autres circonstances, aurait pu être un standard 60’s, mais qui est ici martyrisée par une production volontairement destructrice.
C’est peut-être là le coup de génie des Jesus and Mary Chain. Ce qu’ils ont inventé avec “Psychocandy”, ce n’est pas un style musical, mais une manière de réécrire l’histoire du rock à l’envers. Ils empruntent à la pop de Phil Spector et à la nonchalance du Velvet Underground, mais ils les passent à la moulinette du punk et du bruitisme. L’album est un paradoxe absolu : hyper-violent mais terriblement romantique, glacé et pourtant brûlant.
À sa sortie, “Psychocandy” ne fait pas l’unanimité. Trop brut, trop radical, trop hostile pour certains. Mais le temps lui donnera raison. Sans lui, pas de shoegaze, pas de My Bloody Valentine, pas de Slowdive, pas de britpop non plus. Le rock indé anglais ne serait pas le même. Près de quarante ans plus tard, le disque garde son pouvoir de fascination intact. Il suffit d’appuyer sur play pour replonger dans ce monde parallèle où les chansons d’amour se chantent à travers un mur de distorsion, où la tendresse flirte avec la destruction.
★★★★★
The Jesus and Mary Chain “Psychocandy”, 1985
Just Like Honey / The Living End / Taste the Floor / The Hardest Walk / Cut Dead / In a Hole / Taste of Cindy / Never Understand / Inside Me / Sowing Seeds / My Little Underground / You Trip Me Up / Something’s Wrong / It’s So Hard