U2 “Achtung Baby”

U2 “Achtung Baby”

A un moment de son histoire, U2 a brûlé son passé pour renaître sous une autre forme. “Achtung Baby” est l’instant où l’icône devient caméléon. Un disque électrique, charnel, et toujours brûlant plus de trente ans après.

On dit souvent qu’un groupe joue sa carrière sur un album. Pour U2, ce moment arrive en 1991. Après l’idéalisme incandescent de “The Joshua Tree” et la mégalomanie de “Rattle and Hum”, le groupe irlandais est au bord du précipice. Trop grandiloquent, trop sérieux, trop vissé à une image christique qui commence à lasser. Il leur faut muter ou mourir. Ce sera “Achtung Baby”, une renaissance dans le chaos, un disque de contradictions et de ruptures, où le messianisme laisse place à l’ironie, où les guitares rugueuses côtoient des beats électroniques moites.

L’album naît dans la douleur. Enfermés dans les studios Hansa à Berlin, ceux-là mêmes où Bowie a façonné sa trilogie berlinoise, Bono, The Edge, Adam Clayton et Larry Mullen Jr. s’affrontent sur la direction à prendre. Ils veulent du neuf mais peinent à le trouver. La lumière viendra de “One”, morceau enregistré dans un élan quasi mystique, cimentant une fois pour toutes ce virage esthétique. Fini les vastes paysages sonores, bienvenue dans un univers plus sombre, plus sensuel, où le romantisme flirte avec la débauche.

Dès “Zoo Station”, on comprend que quelque chose a changé. La voix trafiquée de Bono, les guitares distordues, la rythmique syncopée : tout respire l’urgence et la modernité. “Even Better Than the Real Thing” et “The Fly” enfoncent le clou, riffs abrasifs et refrains hédonistes, comme si U2 jouait enfin avec son image. “Mysterious Ways”, porté par une basse hypnotique et une guitare en apesanteur, est un appel à la luxure, un groove moite qui tranche avec l’austérité passée du groupe.

Mais “Achtung Baby” n’est pas que le signe du renouveau des Irlandais. C’est aussi un album déchiré entre euphorie et mélancolie. “One”, bien sûr, immense élégie sur la rupture et la réconciliation, portée par l’un des plus beaux textes de Bono. “Love Is Blindness”, qui clôt l’album, est un adieu au romantisme naïf, une plainte déchirante sur fond d’orgue spectral et de guitare prête à s’effondrer.

À sa sortie, “Achtung Baby” est accueilli comme une révélation. Le public suit, la critique acclame, les planètes s’alignent, Bono s’abonne au “Monde Diplo” et commence à peser dans les débats du monde contemporain. U2 lui vient de s’offrir une deuxième vie, plus cynique, plus ambiguë, plus électrisante. Ce n’est plus (qu’) un groupe en croisade, mais un monstre mutant, prêt à se réinventer encore et encore.

★★★★★

U2 “Achtung Baby”, 1 CD (Island/PolyGram), 1991

U2 – Zoo Station / U2 – Even Better Than the Real Thing / U2 – One / U2 – Until the End of the World / U2 – Who’s Gonna Ride Your Wild Horses / U2 – So Cruel / U2 – The Fly / U2 – Mysterious Ways / U2 – Tryin’ to Throw Your Arms Around the World / U2 – Ultra Violet (Light My Way) / U2 – Acrobat / U2 – Love Is Blindness

Écoute obligatoire :

  • One” : une chanson immense, entre déchirement et rédemption.
  • Mysterious Ways” un groove sinueux, une sensualité nouvelle pour le groupe.
  • The Fly” un trip rock abrasif et arrogant.
  • Love Is Blindness” : le titre qui referme l’album, une fermeture suffocante, un adieu en cendres.

Jean-Marc Grosdemouge