Darc is not dead
“Crèvecœur”, c’est la résurrection d’un prophète rock’n’roll, c’est la poésie qui survit à la noirceur, c’est la Puissance Supérieure, cette chose surnaturelle chère à ceux qui ont décroché de la dope, invisible mais présente, qui te regarde de la-haut et te dit : « tiens bon, je suis là. »
Après le succès de Taxi Girl et des années 90 erratiques, plus personne ou presque ne voulait bosser avec Darc : trop de drogue, trop d’excès, pas fiable, insaisissable comme une fumée qui te brûle les doigts. Et puis, en 2003, comme par miracle – mais après tout, Daniel, en plus d’être un prophète, était croyant – débarque cet album façonné avec Frédéric Lo, son voisin du XIe à Paris. Un disque qui sent la chambre close, le café froid, les claviers vintage et le désespoir poli.
Crèvecœur n’est pas un retour en fanfare. Ce n’est pas le triomphe des projecteurs, ce n’est pas le brushing impeccable de la pop. C’est un disque de survivant. Chaque note est une cicatrice, chaque mot une confession. Frédéric Lo bidouille, sculpte, assemble les sons comme un alchimiste fauché dans son salon, et Darc y pose sa voix comme une flamme tremblante sur une étagère branlante. Résultat : intime, noir, hanté, mais brûlant d’une beauté que tu n’attendais plus.
Les chansons parlent de tout ce qu’on tait d’ordinaire : la solitude qui gratte, les amours qui s’effondrent, la mémoire qui déraille mais refuse de mourir. Et pourtant, au milieu de cette noirceur, la lumière perce : la poésie pure qui touche au cœur, l’élégance dans la mélancolie, cette sensibilité animale qui fait que tu n’es plus seulement spectateur, tu deviens complice. « Un disque de survivant », disent les critiques, mais c’est plus que ça : c’est un ange qui te surveille de là-haut. Et Daniel est cet ange. Chaque écoute te rappelle qu’il est là, qu’il veille, qu’il murmure à travers les claviers, les flûtes, les guitares.
Marcher dans le XIe sous la pluie en écoutant Crèvecœur, c’est sentir Paris retenir son souffle, suspendu à chaque mot, chaque souffle, chaque vibration. C’est sentir qu’un type qui a traversé les enfers te prend la main pour te montrer que la beauté peut surgir de la cendre. Les titres explosent comme des flashs dans la nuit : “La pluie qui tombe“, “Rouge Rose“, “Je me souviens, je me rappelle“… chacun est un morceau de ‘sacré) cœur que Darc t’offre, fragile et précieux, et toi, tu ne peux qu’adorer. Il n’y a plus qu’à faire passer le chapeau, car comme le stipule la 7e tradition, les groupes de parole ne vivent que grâce à la contribution de leurs membres.
★★★★★
Daniel Darc “Crèvecœur” (Mercury/Universal), 2003
