Blonde Redhead “Penny Sparkle”

Déjà auteurs de somptueux albums, le trio new-yorkais revient et il ne faut pas se fier aux couleurs d’emballage de dragées de la pochette. Miss Makino and the Pace Brothers plongent tête la première dans le spleen digital. Pour rapporter des perles à rentrer entre “Faith” de Cure et “Victorialand” de Cocteau Twins (les fans ultra sont censés tiquer en lisant ce que je viens d’écrire).
“Penny Sparkle” a cette qualité rare des albums hors du temps. Il ne sonne ni daté, ni rattaché à une époque précise. Son minimalisme, sa production léchée et cette sensation de flottement permanent lui donnent une intemporalité presque surnaturelle. Là où d’autres disques électro-pop de la même période ont fini par sentir la poussière des tendances passées, celui-ci reste intact, comme figé dans un songe. C’est sans doute dû à cette approche ultra-sobre : aucune lourdeur, aucun effet de manche, juste une architecture sonore pensée pour durer.
On rembobine : on avait laissé Blonde Redhead en 2007 avec “23”, un disque céleste, où les guitares s’enroulaient comme du lierre autour de la voix fragile et spectrale de Kazu Makino. En 2010, “Penny Sparkle” marque un virage, un de plus dans la carrière de BR. Plus froid, plus électronique, comme si le trio new-yorkais avait décidé d’éteindre les lampes tamisées pour se laisser engloutir par la lueur blafarde d’un néon. Et ça leur réussit : “Here sometimes”, caresse glaciale qui ouvre l’album, est un monument.
La production, confiée aux orfèvres suédois Van Rivers et The Subliminal Kid (déjà croisés chez Fever Ray), polit chaque texture jusqu’à l’obsession. Tout est feutré, retenu, presque spectral. Kazu ne chante plus, elle murmure, feule comme une chatte qui n’a pas eu son assiette de lait. Ses mots flottent comme une brume synthétique au-dessus de nappes de claviers évanescents (“Love or prison”, “My plants are dead”, “Everything is wrong”), tous comme ceux de Amedeo Pace (si comme nous vous leurez encore le départ de Christophe, écoutez “Will there be stars” ou “Black guitar” et préparez les kleenex). Il y a quelque chose d’hypnotique dans cette lente descente vers un minimalisme ouaté, une beauté fragile qui tient en équilibre sur un fil invisible.
A force d’épure, Blonde Redhead touche au sublime. Là où “Misery Is a Butterfly” ou “23” jouaient sur la tension, la mélancolie vibrante, “Penny Sparkle” s’étire dans une torpeur presque narcotique. C’est un album de nuit, de solitude, un disque qui s’écoute en regardant la ville à travers une vitre embuée. Reste une élégance un peu froide, une sophistication qui rappelle les heures les plus brumeuses de The Notwist, et cette faculté à capturer une émotion insaisissable.
Blonde Redhead n’a jamais été un groupe de la demi-mesure. Ici, ils choisissent l’épure absolue, quitte à frôler l’évanescence. Mais pour qui saura se laisser happer, “Penny Sparkle” est un album d’une beauté vertigineuse, un disque qui ne se livre pas tout de suite, qui préfère chuchoter plutôt que crier. appelons ce disque “leftfield rock”, un disque qui vous hantera. Longtemps, longtemps. A classer entre Cure et Cocteau Twins.
★★★★★
Blonde Redhead “Penny Sparkle”, 1 CD (4AD), 2010 et sur les plateformes d’écoute
Here sometimes / Not getting there / Will there be stars / My plants are dead / Love or prison / Oslo / Penny sparkle / Everything is wrong / Black guitar / Spain
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