Pierre Schott “Le retour à la vie sauvage”

Pierre Schott “Le retour à la vie sauvage”

On peut avoir squatté le Top 50 en 1986, fait danser les foules sous un néon blafard et une boule à facettes, et finir, quelques décennies plus tard, en vieux loup solitaire du blues à la Jean-Jacques (Rousseau, pas Goldman). Et gratter une guitare dans un recoin oublié de l’hexagone. Pierre Schott en est la preuve, on a croisé son ombre sur ce disque.

Pourtant son parcours passe par le Raft, pas le sport mais le groupe auteur de “Yaka Dansé”, tube eighties au gimmick naïf et imparable, mais mal foutu mais bon voilà quoi. On pouvait le croire avalé par la grande lessiveuse de la variété post-coloniale. Pourtant, il a pris une tangente : folk rugueux, blues en friche, poésie de l’ombre.

Sorti en 1995 et remasterisé l’an passé, “Le retour à la vie sauvage”, porte bien son nom. On y entend un homme revenu de tout, qui chante bas, loin des strass et des lendemains de fête en pagaille. C’est une musique qui regarde du côté des marginaux, des déclassés, des naufragés volontaires. On pense au JJ Cale de “Troubadour”, au cabossé Calvin Russell, ou à un Alan Vega rural et apaisé. L’album est épuré, porté par des guitares sèches, une basse qui ronronne et quelques percussions minimales. Mais derrière cette simplicité se cache une science du songwriting affûtée.

Les morceaux s’enchaînent comme autant de vignettes d’un carnet de route : “Mille bornes” évoque la cavale d’un type qui a trop vu la ville, “L’homme qui s’efface” dit la nostalgie d’une époque où l’on croyait encore aux mirages, “D’un seul trait” joue avec l’ivresse du départ, tandis que Retour à la vie sauvage sonne comme une déclaration d’indépendance définitive. Pas de nostalgie factice ici, ni de misérabilisme : juste un constat, lucide et doux-amer, sur le passage du temps et les routes qu’on choisit d’emprunter.

Schott a troqué la pop synthétique des années 80 contre un blues tellurique et organique, mais il a gardé un sens instinctif de la mélodie. Son chant traîne, glisse, épouse les aspérités du texte, dans un français limpide et sans afféteries. On est loin des poses du blues-rock hexagonal : ici, pas de solos envahissants, pas de démonstration de force, juste l’essentiel. Et c’est ce qui fait la beauté de l’album.

Ce retour à la vie sauvage n’est pas un caprice, ni une posture. C’est le chemin d’un musicien qui a compris que le vrai luxe, c’est de pouvoir suivre son propre tempo, loin des spots, avec juste une guitare et quelques vérités bien senties. Schott aurait pu se perdre dans les eaux troubles du “revivalisme”, il choisit la sincérité. C’est pour ça qu’on l’écoute, et qu’on y revient.

★★★★☆

Pierre Schott “Le retour à la vie sauvage”, 1 CD (Dreyfus), 1995 (remastérisé en 2024) et sur les plateformes d’écoute

J’Me Sens Libéré / Dans La Jungle / Le Blues Des Lagons Bleus / Allumer Un Feu / Âme De Rebelle / Retour À La Vie Sauvage / Tomber La Pluie / La Chaleur Animale / Les Trains Bleus De Minuit / Un Port, Ailleurs

Jean-Marc Grosdemouge