Repenser nos origines – 1 : les chasseurs-cueilleurs, des sociétés complexes et méconnues
Depuis des décennies, l’histoire de l’humanité reposait sur un récit bien établi : il y a environ 10 000 ans, l’agriculture aurait déclenché une cascade de transformations irréversibles, conduisant à la sédentarisation, à la création des premières villes, et finalement à l’émergence de civilisations complexes. Mais aujourd’hui, ce récit vacille. Les découvertes récentes en anthropologie et en archéologie révèlent que la transition de chasseurs-cueilleurs à des sociétés structurées ne s’est pas déroulée comme nous le pensions.
Les chasseurs-cueilleurs, traditionnellement perçus comme des nomades isolés et rudimentaires, étaient bien plus sophistiqués que ce que l’on croit. Il y a 14 000 ans, explique “National Geographic” ils prenaient soin des vivants et des morts (voir). Ils ont également, pour certains groupes, été capables d’édifier des sociétés stratifiées (cf les travaux d’Alain Testart).
Une autre vision de la “civilisation”
La notion même de “civilisation”, souvent associée à des concepts de progrès, de hiérarchie, voire de domination, est remise en question. En étudiant des groupes de chasseurs-cueilleurs contemporains, les chercheurs découvrent une étonnante diversité : certains étaient égalitaires, d’autres hiérarchisés, avec des chefs héréditaires et même des pratiques d’esclavage ou de guerre. Ces sociétés présentaient parfois une stratification politique qui les rapprochait davantage de certains modèles de civilisation.
Mais alors, pourquoi les humains ont-ils adopté l’agriculture si leur mode de vie antérieur semblait leur convenir ? Nous y reviendrons dans le prochain épisode, mais disons déjà que selon les chercheurs, il ne s’agirait pas d’un choix évident ou d’un progrès linéaire, mais d’un ensemble complexe de circonstances – climatiques, sociales, et peut-être religieuses – qui auraient poussé certains groupes à expérimenter avec la domestication des plantes et des animaux.
Göbekli Tepe, une énigme archéologique
Un site comme Göbekli Tepe, situé dans le sud de la Turquie, et dont les fouilles ont commencé dans les années 1990, bouleverse nos certitudes : ces structures monumentales, datant d’il y a 11 500 ans, ont été érigées par des groupes ne pratiquant ni l’agriculture ni l’élevage. Ces mégalithes, sculptés avec une précision impressionnante, témoignent d’une capacité d’organisation collective et d’une complexité sociale que l’on n’attribuait auparavant qu’aux sociétés agricoles.
En effet, ce site ne montre aucune trace d’agriculture. Pourtant, les constructions imposantes et les gravures animales suggèrent des rassemblements d’envergure, peut-être pour des cérémonies rituelles ou des réunions communautaires. Les chercheurs avancent même que cette architecture monumentale pourrait avoir précédé et favorisé l’adoption de pratiques agricoles, et non l’inverse.
Ces découvertes nous forcent à repenser les origines de nos sociétés. L’histoire de l’humanité n’est peut-être pas celle d’un “progrès inéluctable”, mais une succession de choix, d’adaptations et de compromis.
Prochain épisode : le mythe de la transition inévitable vers l’agriculture
A lire :
Alain Testart “Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités”