Repenser nos origines – 2 : le mythe de la transition inévitable vers l’agriculture

Repenser nos origines – 2 : le mythe de la transition inévitable vers l’agriculture
Après avoir découvert que les chasseurs-cueilleurs sont des sociétés plus complexes que ce qu’on pensait (voir notre article) et capables de se structurer, interrogeons un autre mythe : celui qui veut que la transition vers l’agriculture était comme inscrite dans la suite de l’histoire.

L’agriculture est souvent perçue comme une étape “naturelle” et inéluctable dans le développement des sociétés humaines, un progrès irréversible qui aurait marqué la sortie de la préhistoire pour entrer dans la civilisation. Pourtant, cette vision linéaire et téléologique a été largement remise en question par les recherches contemporaines. La transition vers l’agriculture, loin d’être une avancée universellement adoptée et bénéfique, était un processus complexe, non uniforme et souvent empreint d’ambiguïtés.

Un choix, pas une nécessité

L’idée que l’agriculture était une nécessité pour répondre à des besoins alimentaires croissants est une simplification. De nombreuses sociétés de chasseurs-cueilleurs vivaient dans des environnements où les ressources naturelles abondaient et leur mode de subsistance était parfaitement adapté. Ces groupes étaient souvent bien nourris, jouissaient d’un mode de vie flexible et consacraient relativement peu de temps au travail quotidien.

Pourquoi, alors, adopter un mode de vie qui demande davantage de labeur, de planification et d’efforts collectifs ? La réponse est complexe et varie selon les contextes. Dans certaines régions, des changements climatiques ont pu réduire la disponibilité des ressources sauvages, forçant les communautés à innover pour survivre. Ailleurs, l’agriculture semble avoir été adoptée graduellement, non comme un abandon complet de la chasse et de la cueillette, mais comme un complément aux pratiques existantes.

Des études sur les sites archéologiques du Croissant fertile, berceau présumé de l’agriculture, montrent que cette transition a duré plusieurs milliers d’années. Les premières cultures de céréales comme l’orge et le blé n’ont pas immédiatement remplacé les ressources sauvages. Au contraire, elles coexistaient avec la chasse et la cueillette, une preuve supplémentaire que l’agriculture n’était pas une solution imposée par les conditions de l’époque, mais plutôt une option parmi d’autres.

Les coûts cachés de l’agriculture

Si l’agriculture a permis la production de surplus alimentaires, ouvrant la voie à des sociétés plus complexes, elle s’est aussi accompagnée de nombreux défis. Les premiers agriculteurs ont connu une baisse de la diversité alimentaire, souvent associée à une dégradation de la santé. Les analyses de squelettes anciens montrent une augmentation des maladies liées à la malnutrition, comme l’anémie ou le rachitisme, et une diminution de la taille moyenne des populations.

En outre, la sédentarisation a intensifié les risques liés aux épidémies. Les communautés agricoles, vivant plus densément et en contact étroit avec les animaux domestiques, ont favorisé l’émergence et la propagation de maladies infectieuses. Ces problèmes sanitaires, combinés à une augmentation des inégalités sociales dues à l’accumulation de richesses, contrastent fortement avec le mode de vie des chasseurs-cueilleurs, souvent plus égalitaires.

Une adoption loin d’être universelle

Fait révélateur : toutes les sociétés humaines n’ont pas adopté l’agriculture, même après son développement. Certaines ont consciemment choisi de préserver leur mode de vie basé sur la chasse, la cueillette ou un mélange des deux. Ces groupes avaient souvent une vision du monde qui valorisait l’harmonie avec la nature et rejetaient l’idée d’une exploitation intensive des terres.

Par exemple, les aborigènes d’Australie ont maintenu des pratiques de gestion environnementale sophistiquées pendant des millénaires sans adopter l’agriculture au sens classique. De même, certaines communautés d’Amazonie ont opté pour des techniques d’agriculture itinérante ou de gestion forestière qui reflètent une forme d’équilibre entre exploitation et préservation. Ces exemples montrent que la transition vers l’agriculture n’était ni universelle ni irréversible.

Repenser le “progrès”

La glorification de l’agriculture comme une étape inévitable vers le progrès reflète souvent une vision ethnocentrique de l’histoire. En réalité, cette transition a été un choix contextuel, façonné par des contraintes environnementales, des besoins spécifiques et des valeurs culturelles propres à chaque groupe.

Aujourd’hui, alors que les sociétés modernes font face à des crises alimentaires et environnementales, il est essentiel de revisiter ce mythe d’un “progrès” agricole univoque. Comprendre la diversité des trajectoires humaines nous invite à repenser nos modèles actuels et à valoriser des pratiques plus résilientes et respectueuses de l’environnement.

Prochain épisode (“Quand le mythe du progrès s’effrite”) disponible jeudi 16 janvier 2025

Jean-Marc Grosdemouge