Repenser nos origines – 3 : quand le mythe du progrès s’effrite

Repenser nos origines – 3 : quand le mythe du progrès s’effrite
Depuis des siècles, l’histoire humaine est racontée comme une progression linéaire : des chasseurs-cueilleurs aux sociétés agricoles, puis industrielles. Ce récit, profondément ancré dans notre imaginaire collectif, associe “civilisation” à “progrès”. Mais des découvertes récentes remettent en question cette vision simpliste.

Ce récit est biaisé par nos valeurs modernes et occidentales. L’idée d’une humanité évoluant naturellement vers des formes supérieures – agriculture, urbanisation, États – reflète davantage nos préjugés contemporains que les réalités historiques. Comme l’a montré David Graeber dans “Au commencement était…”, cette perspective projette sur le passé des valeurs modernes, justifiant hiérarchies sociales et systèmes de pouvoir.

Göbekli Tepe (voir épisode 1), un site monumental en Turquie, bouleverse ce schéma. Construit il y a plus de 10 000 ans par des chasseurs-cueilleurs, il prouve que l’architecture complexe n’est pas l’apanage des sociétés agricoles. Ces découvertes révèlent une histoire bien plus riche et diversifiée, où les notions de “civilisation” et de “primitivité” doivent être repensées.

Quant l’agriculture (voir épisode 2), n’est-ce pas un pacte faustien ? Longtemps vue comme un tournant vers le progrès, l’agriculture s’accompagne de lourdes conséquences : inégalités sociales, surexploitation des ressources, pandémies. Plutôt qu’un bond en avant, elle pourrait être perçue comme un compromis aux multiples effets secondaires, invitant à redéfinir ce que signifie une “société évoluée”.

Seshat : repenser l’évolution des sociétés

Depuis 2011, le projet Seshat compile des données sur 414 sociétés, sur 10 000 ans. Les résultats surprennent : malgré des contextes culturels variés, des traits complexes émergent de manière similaire partout. Parmi les moteurs identifiés, la guerre joue un rôle central, mais son importance est débattue, certains chercheurs mettant en avant d’autres facteurs, comme l’écriture. Ces travaux montrent aussi que la foi en des “dieux moralisateurs”, souvent vue comme un ciment social, apparaît après que les sociétés ont atteint une certaine complexité. Ces conclusions, bien qu’innovantes, font encore débat.

Un passé qui éclaire notre avenir

Loin d’un chemin unique, l’histoire humaine s’apparente à une mosaïque de trajectoires. Des sociétés polynésiennes, où la religion a limité la guerre, aux chasseurs-cueilleurs de Göbekli Tepe, la diversité des modèles sociaux invite à repenser nos notions de progrès et de complexité.

Comme le souligne David Wengrow, intégrer des critères comme la résilience écologique ou la créativité artistique pourrait enrichir notre vision des sociétés “évoluées”. Repenser notre passé, c’est aussi ouvrir des perspectives pour des avenirs plus justes et équilibrés.

Jean-Marc Grosdemouge